Des Québécois à la tête du pays





Qui furent les Québécois élus à la tête du gouvernement fédéral canadien depuis la fédération de 1867?


Wilfrid Laurier (parti libéral)
Premier ministre du 11 juillet 1896 au 6 octobre 1911.

Né le 20 novembre 1841, Laurier est le premier Québécois (ou Canadien français comme on nous appelait à l'époque) à être élu à la tête du Canada. En 1877, Laurier avait fait les manchettes en dénonçant le parti pris politique du clergé catholique québécois et des tactiques d'intimidation qui étaient exercés sur les fidèles. Il eut gain de cause quelques mois plus tard lorsque l'Église fit parvenir à ses curés une lettre qui leur interdisait «d'enseigner du haut de la chaire ou en tout autre lieu qu'il y a péché à voter pour un candidat de quelque parti que ce soit.» C'est là une belle victoire pour la démocratie.

En 1885, lors du grand rassemblement sur le Champ de Mars, il dénonce l'éxécution de Louis Riel et va même jusqu'à déclarer à la foule: «Si j'avais été sur les bords de la Saskatchewan, j'aurais, moi aussi, épaulé mon fusil... Riel a été victime d'un guet-apens.» C'est pourtant ce même Laurier qui, 10 ans plus tard, présidera à la disparition des écoles françaises de l'Ouest.
LAURIER


En 1886, lors d'un discours prononcé devant le Young Men's Liberal Club de Toronto, Laurier déclare: «J'admets sans réserve que l'anglais est destiné à être la langue de ce pays, et nul homme sensé ne peut le nier. Je me limite à dire que nous sommes la race française et nous avons des obligations, et nous devons remplir ces obligations et rien de plus.» Ce genre de remarque augmenta considérablement sa popularité auprès de l'électorat anglophone. On remarque que Laurier tenait des discours fort différents aux francophones et aux anglophones, une pratique encore en usage de nos jours. Cliquez ici pour lire ce discours dans sa version originale anglaise.

Dès son arrivée au pouvoir, il se retrouve plongé dans une grande controverse. La province du Manitoba venait de décider de fermer toutes ses écoles catholiques-françaises, privant ainsi sa population francophone d'un droit fondamental. Laurier fut très mou dans ce dossier aux yeux du Québec, offrant un compromis que personne ne trouva satisfaisant. On peut se surprendre de l'attitude de cet homme qui aurait épaulé son fusil en 1885. Il joua par ailleurs un grand rôle dans l'expansion du pays vers l'ouest dans une course pour précéder les États-Unis.

Laurier accepta l'invitation de la Grande-Bretagne de participer dans la guerre des Boers en Afrique du Sud, conflit terrible pendant lequel les Britanniques établirent leurs propres camps de concentration. Il met 8 300 soldats à la disposition de la Grande-Bretagne et lui octroie 3 millions de dollars. À son crédit, Laurier n'a forcé personne à aller se battre en Afrique, la participation des soldats fut sur une base volontaire. Après sa défaite électorale, il demeura longtemps chef de l'opposition et s'opposa vigoureusement à la conscription lors de la Première guerre mondiale. Il plaida en Chambre en faveur de l'adoption par les écoles des nouvelles provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan des mêmes droits qu'aux écoles du Québec. Une écrasante majorité de députés anglophones refusa de le suivre dans cette voie. En 1911, Laurier fit la surprenante déclaration : «Nous sommes forcés d'arriver à la conclusion que le Québec seul est notre patrie, parce que nous n'avons pas de liberté ailleurs.»

SAINT-LAURENT Louis Saint-Laurent (parti libéral)
Premier ministre du 15 novembre 1948 au 21 juin 1957

Saint-Laurent occupait le poste de ministre de la Justice dans le gouvernement de Mackenzie-King, pendant la guerre. Lorsque le député québécois René Chaloult déclara, dans un discours anticonstriptionniste: "Je crois qu'après cette guerre se rompra tout lien avec l'Angleterre", Saint-Laurent décide d'entreprendre des poursuites judiciaires contre le député de Lotbinière pour "propos séditieux". L'affaire fit beaucoup de bruit au Québec et ne fit rien pour augmenter la popularité de Saint-Laurent au Québec. À l'opposé, le Canada anglais le vit dès lors comme un homme qui ne craignait pas de remettre ces Canadians-français à leur place.

Saint-Laurent fut élu après la guerre, alors que le pays connaissait une grande période de prospérité et de croissance. Il entreprit la construction de la route transcanadienne et nomma le premier gouverneur né au pays, Vincent Massey. C'est pendant son mandat que le Canada prit part à la guerre de Corée aux côtés des forces de l'ONU et participa à la fondation de l'OTAN. Malgré une opposition initiale considérable, il réussit à instaurer les paiements de péréquation aux provinces. Son gouvernement continua à développer le programme de réforme sociale en apportant des améliorations aux pensions de vieillesse et à l'assurance-maladie. Son amour des enfants lui valut le surnom d'Oncle Louis.


Pierre Trudeau (parti libéral)
Premier ministre du 20 avril 1968 au 3 juin 1979
et du 3 mars 1980 au 30 juin 1984

Lors de son arrivée au pouvoir, Trudeau le célibataire millionnaire connut une popularité qui fut par la suite baptisée «Trudeaumanie» par les médias. Cette popularité était en partie dûe à son jeune âge et à son charme. Il faut dire aussi que plusieurs anglophones le voyaient comme l'homme qui allait «mettre le Québec à sa place» alors qu'un grand nombre de francophones le voyait comme l'homme qui allait défendre leurs intérêts. L'un de ses premiers grands gestes fut l'adoption de la Loi sur les langues officielles, garantissant aux citoyens francophones des services fédéraux dans leur langue. Mais Trudeau désirait un gouvernement fédéral très centralisé, ce qui le mit rapidement en conflit avec le gouvernement du Québec qui désire depuis longtemps la décentralisation des pouvoirs au profit des provinces. Il fut révélé plus tard que Trudeau mena une véritable guerre secrète et illégale contre les séparatistes et qu'il donna son accord à l'infiltration des groupes séparatistes par la GRC et la CIA pendant les années 1960. Lors de la crise d'octobre de 1970 et à la demande du premier ministre québécois Robert Bourassa, Trudeau déclara la Loi des mesures de guerre (qui suspendit les droits fondamentaux des citoyens) et envoya l'armée investir Montréal. Un grand nombre d'arrestations sans mandat furent effectuées. Plusieurs qualifièrent cette mesure d'exagérée pour venir à bout d'une petite poignée de terroristes. On apprit plusieurs années plus tard que, pendant cette même période, Trudeau avait ordonné à la GRC (Gendarmerie royale canadienne) d'espionner illégalement la jeune organisation politique souverainiste de René Lévesque, le parti québécois.
TRUDEAU

Aux élections de 1979, les libéraux de Trudeau furent défaits et le chef donna sa démission. Or, après seulement neuf mois, le gouvernement conservateur de Joe Clark fut renversé et les libéraux furent réélus avec Trudeau de nouveau à leur tête.

Lors du référendum sur la souveraineté du Québec en 1980, Trudeau s'allia à Claude Ryan (chef du PLQ) à la tête du camp du NON. Son option remporta la victoire suite à une campagne que René Lévesque qualifia de «peu reluisante», et grâce aussi à la promesse de Trudeau que le Canada connaîtrait "un grand changement". Les espoirs de plusieurs furent déçus lorsque Trudeau signa la nouvelle constitution canadienne en l'absence du premier ministre québécois, René Lévesque. Cette nuit du 4 novembre au 5 novembre 1981 fut surnommée la «Nuit des longs couteaux». Lévesque, apprenant la nouvelle dans les journaux le lendemain matin, quitta Ottawa, furieux. Cette blessure demeure ouverte et le Québec n'est toujours pas signataire de la nouvelle constitution canadienne de Trudeau.

Trudeau mena à bien son projet de rapatrier la constitution canadienne, jusqu'alors conservée à Londres où elle avait été votée. Elizabeth II signa l'Acte constitutionnel de 1982, accordant l'indépendance complète du Canada vis-à-vis le gouvernement britannique. Par cette nouvelle constitution, le Québec voyait ses pouvoirs diminués sur le plan de la culture et de l'expansion. La Charte des droits et liberté de Trudeau, maintenant intégrée dans la constitution, devint une menace majeure à la loi 101 qui visait à protéger et à promouvoir la langue française au Québec.

Trudeau est par ailleurs responsable de la légalisation de l'avortement et des relations homosexuelles entre adultes consentants et il a assuré le maintien du système de santé canadien à une époque où les systèmes de santé étaient attaqués dans plusieurs pays. Sur une note moins positive, il a contribué à accumuler d'importants déficits et une dette avec laquelle le Canada continuera à se battre encore longtemps.

Ennemi juré du nationalisme québécois, Trudeau s'opposa à l'accord du Lac Meech de Brian Mulroney parce que celui-ci offrait une reconnaissance spéciale à la société québécoise. Le 30 mars 1988, il s'adressa au Sénat pendant six heures, exclusivement en anglais, pour demander que l'accord soit détruit. L'homme qui avait imposé la Loi des mesures de guerres et qui avait fait emprisonner 500 personnes innocentes en 1970 se disait inquiet que les libertés civiles soient menacées dans un Québec "distinct". En parlant des Anglo-Québécois, il alla même jusqu'à déclarer: "Nous avons des exemples dans l'histoire où un gouvernement devient totalitaire parce qu'il agit en fonction d'une race et envoie les autres dans les camps de concentration." Cette odieuse comparaison entre le Québec et l'Allemagne nazie soulève l'indignation chez les Québécois de toutes allégeances politiques. Le mythe deviendra toutefois très populaire auprès de plusieurs Canadiens anglais.

MULRONEY Brian Mulroney (parti conservateur)
Premier ministre du 17 septembre 1984 au 25 juin 1993

Mulroney et son parti furent élus aux communes avec la plus grande majorité de l'histoire canadienne. Parmi les réalisations de Mulroney, citons le traité de libre-échange nord-américain avec les États-Unis et le Mexique (l'ALÉNA) et la participation du Canada à la guerre du golfe persique. Il est également à l'origine de la très impopulaire T.P.S. (taxe sur les produits et services). Il faut dire qu'il avait hérité d'une dette énorme du gouvernement Trudeau. C'est sous le gouvernement Mulroney que les droits linguistiques des Acadiens du Nouveau-Brunswick sont enfin enchâssés dans la constitution et que l'accord sur le Nunavut avec les Inuits met en branle la création d'un troisième territoire au Canada. À l'échelle internationale, Mulroney se fait respecter pour sa position sur l'apartheid en Afrique du Sud. Il négocie avec les États-Unis un traité sur les pluies acides et se liera d'amitié avec le Président américain George Bush (ce qui en inquiétera plusieurs au sujet du libre-échange).


Mulroney s'avoua admirateur du chef souverainiste René Lévesque à plusieurs reprises. Il tenta tant bien que mal de réparer la blessure de 1982 et de modifier la fédération canadienne pour y inclure une reconnaissance spéciale pour le Québec en tant que «société distincte». Malgré ses efforts, l'accord du lac Meech fut saboté par Terre-Neuve et le Manitoba. Un second accord, celui de Charlottetown, fut rapidement négocié pour remplacer Meech et fut soumis à la population par référendum en 1992. Les anglophones le rejetèrent parce que trop généreux à l'égard du Québec, et les Québécois le rejetèrent parce que trop peu. En bout de ligne, ces efforts firent de Brian Mulroney le premier ministre le plus impopulaire de l'histoire du pays. Il emporta avec lui dans sa chute le parti conservateur qui s'écroula. Redevenu simple citoyen, il poursuivit le gouvernement fédéral de Chrétien pour diffamation. Chrétien avait effectivement affirmé que Mulroney avait reçu d'importants pots-de-vin lors de la signature d'un contrat d'achat d'avions (l'affaire «Airbus»). Il eut gain de cause et reçut un important dédommagement.


Jean Chrétien (parti libéral)
Premier ministre du 4 novembre 1993 au 12 décembre 2003.

De 1967 à 1984, Jean Chrétien dirigea plusieurs ministères sous les gouvernements de Lester Pearson et de Pierre Trudeau. En 1980, ce dernier le nomma ministre responsable des négociations constitutionnelles. Il fit campagne pour le NON au référendum de 1980, déclarant que la souveraineté du Québec signifierait une hausse du niveau de la vie et du prix du pétrole (il faut absolument louer le film «Le confort et l'indifférence» de Denys Arcand pour voir le jeune Chrétien en pleine action). Par la suite, il joua un rôle de premier plan lors de la rédaction et de l'adoption de la charte canadienne des droits et libertés ainsi que lors du rapatriement de la constitution en 1982. En 1990, Chrétien devint le nouveau chef du parti libéral fédéral. Il dénonça l'accord du Lac Meech et fit campagne contre l'accord de Charlottetown de Brian Mulroney. Il fait pression sur les premiers ministres libéraux Frank McKenna (Nouveau-Brunswick) et Clyde Wells (Terre-Neuve) afin que l'accord soit détruit. Même l'adversaire principal de Chrétien à la course au leadership du parti en 1990, Paul Martin, déclare: "Il a fait campagne pendant un an sur le dos du Québec en disant au Canada anglais qu'il n'y aurait pas de problème au Québec si l'Accord du lac Meech échouait."

Chrétien est élu à la tête du pays en 1993 suite à la déconfiture du parti conservateur de Mulroney. Ses promesses électorales, selon lesquelles il abolirait la très impopulaire TPS (taxe sur les produits et services) et mettrait fin au traité de libre-échange nord-américain ne furent pas tenues. Confronté à ce mensonge électoral, il accusa les électeurs de l'avoir mal compris.
CHRETIEN


De 1993 à 2000, il connait une grande popularité auprès des Canadiens anglais, mais déplaît à la plupart des Québécois. Ces derniers préfèrent d'ailleurs voter pour le parti du Bloc québécois. Chrétien obtient donc ses votes surtout en Ontario et dans les provinces maritimes. C'est à cause de cette impopularité que lors du référendum sur la souveraineté du Québec de 1995, il resta dans l'ombre, laissant la place au chef du parti libéral du Québec, Daniel Johnson. On apprit par la suite que son gouvernement élabora plusieurs manoeuvres frauduleuses et illégales (telle quela grande «Opération Citoyenneté» pour influencer les résultats du vote. La victoire du NON fut très serrée, et tout le monde au Québec s'accorda pour dire que le Canada devait être réformé en profondeur s'il voulait espérer survivre.

Or, quelles furent les solutions apportées par Chrétien? Plutôt que de parler de réforme et de réconciliation, il préféra attaquer le droit du Québec à l'auto-détermination. Il déclara que le Québec ne pouvait pas se séparer avec une majorité simple mais devait obtenir une majorité de 60% des votes ou plus, changeant ainsi la règle la plus élémentaire en démocratie. Il s'attaqua même à l'intégrité du territoire québécois en faisant renaître le vieux débat du Labrador qui dormait depuis 1927. Chrétien entreprit ensuite d'isoler le gouvernement québécois diplomatiquement en interdisant tout contact avec les gouvernements internationaux. La consigne fut envoyée à toutes les ambassades canadiennes. Ainsi, lors de la visite du premier ministre Lucien Bouchard au Mexique, l'ambassade canadienne fit pression sur le président mexicain Ernesto Zedillo et plus tard sur son successeur, pour s'assurer que ceux-ci ne rencontrent pas la délégation québécoise. Au chapitre des finances, les coupures budgétaires du gouvernement Chrétien forcèrent les provinces à effectuer de douloureuses coupures dans les domaines de la santé, de l'éducation et du revenu. En plus, plusieurs de ses politiques empiétèrent impunément, au grand déplaisir du Québec, sur les compétences provinciales en matière d'éducation et de santé.

A L'ATTAQUE!
Chrétien à l'attaque!
Surpris par le caméraman Phil Nolan de Global
Jean Chrétien fit les manchettes lorsqu'il s'attaqua à un manifestant (Bill Clennett) devant les caméras de télévision à Hull (photo à gauche). Il déclara que l'homme était l'instigateur de l'attaque, ce qui s'est avéré faux. Dans des circonstances nébuleuses, l'homme décida de ne pas porter plainte. Chrétien donna également son accord à l'importation de plutonium russe au Canada, se mettant ainsi à dos les groupes écologistes. Son invitation du président de la Chine, Li Peng (le principal responsable du massacre de la place Tiananmen en 1989) fut perçue comme totalement inacceptable par les supporters des droits humains.

En 1997, Chrétien invita le général Suharto, Président d'Indonésie et probablement le plus sanguinaire et le plus corrompu des dictateurs d'Asie, à assister à la conférence de l'APEC à Vancouver. Plusieurs personnes s'organisèrent pour manifester contre la présence de Suharto. Afin de s'assurer que Suharto ne serait importuné par aucune démonstration, Chrétien ordonna à la GRC de mettre fin à la protestation pourtant très pacifique. Les policiers dispersèrent la foule violemment, aspergeant les manifestants de poivre de Cayenne. L'affaire tourna au scandale et prit le surnom de «Peppergate». Lorsqu'on accusa Chrétien d'avoir ordonné la suppression des droits civils pour permettre à un dictateur de se sentir chez lui au Canada, le Premier ministre a rétorqué: «Le poivre de Cayenne est une méthode civilisée, la police montée avait même des serviettes pour aider. Ils auraient pu utiliser des bats de base-ball, comme ailleurs.»

Ses gaffes si nombreuses ont été réunies dans un livre intitulé "Les Chrétienneries".

Pourtant, aucun de ces scandales ne semble coller à ce "politicien teflon". Aux élections de 2000, il est réélu avec une majorité encore plus forte, grâce en partie à un budget électoraliste qui promet des baisses d'impôt et également grâce à l'absence d'un parti national fort qui pourrait lui voler la victoire. C'est son propre parti qui lui montre finalement la porte à l'automne 2003. Peu après son départ, un énorme scandale éclate au sujet du programme des commandites qu'il avait institué peu après le référendum.


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