LE SCANDALE DES COMMANDITES


La vérificatrice générale Sheila Fraser déposa, le 10 février 2004, un rapport dévoilant l'ampleur de ce qu'il est maintenant convenu d'appeler "le scandale des commandites". Le rapport explique notamment comment 100 des 250 millions du budget du programme fédéral de commandites se sont retrouvés dans les poches de quelques firmes de publicité et de communication au lendemain de la mince victoire du «non» au référendum de 1995. Pendant près de six ans, des entreprises amies du Parti libéral du Canada ont encaissé plus de 100 millions de dollars d'un fonds servant à commanditer différents événements culturels et sportifs.
Sheila Fraser


LE PROGRAMME DES COMMANDITES

Le programme des commandites a été créé par le Parti libéral du Canada dans la foulée des résultats extrêmement serrés du référendum de 1995. Sous cette initiative repose l'hypothèse que, pour susciter l'attachement des Québécois au Canada, il suffit de maximiser la visibilité des symboles canadiens au Québec. Ainsi, près de 250 millions de dollars ont été versés pour l'organisation d'événements culturels et communautaires dans le but de créer un sentiment d'appartenance des Québécois à l'égard du Canada.

Le programme servait donc à appuyer financièrement des événements. En échange, les organisateurs s'engageaient à placer le mot «Canada» ou l'unifolié en avant plan.

Points saillants du rapport

En plus d'exposer le scandale au grand jour, le rapport de la vérificatrice générale. Expose également d'autre graves cas d'abus et de négligence.

- Le programme de commandites a été géré dans un non respect généralisé des règles en place;

- Des 250 millions de dollars dépensés en quatre ans, 100 millions de dollars ont été versés en commissions et honoraires aux agences de publicité;

- Des sociétés d'État, dont Via Rail et la GRC (Gendarmerie Royale du Canada), ont participé à un stratagème permettant aux agences de publicité de toucher de généreuses commissions;

- L'achat en neuf jours de deux avions Challenger au coût de 100 millions de dollars a fait fi des règles d'acquisition, cet achat est qualifié par les observateurs de dépense complètement inutile et farfelu;

- Plus des deux tiers des lieux historiques nationaux et des édifices fédéraux du patrimoine sont dans un état de décrépitude. Les archives nationales et les documents de la bibliothèque sont conservés dans des conditions exécrables;

- Environ 65 pour cent des personnes qui veulent joindre un préposé du programme d'assurance-emploi se heurtent à une ligne occupée;

- La surveillance des activités des agences de renseignement et de sécurité est déficiente.

Au sujet du programme des commandites, la vérificatrice générale écrit: «La violation répétée des règles n'était pas le résultat d'erreurs isolées. Ces violations étaient régulières et omniprésentes. C'était la façon dont le gouvernement gérait le programme.»

Deux exemples typiques

Sur les 600 000$ qui ont quitté Ottawa pour le Jam des neiges de Québec, les organisateurs de l'événement n'ont touché en bout de ligne que 250 000$. La subvention accordée en 1999-2000 par l'entremise du Programme de commandites a été confiée à la firme Groupaction Gosselin Communications stratégiques. Selon la liste officielle transmise par Travaux publics Canada, le Jamboree des neiges, qui a réuni, pendant 10 jours, 3000 scouts à Québec pour défoncer le millénaire, a obtenu 600 000$. Le secrétaire et directeur général des Scouts du Québec, Robert Nowlan, affirme avoir reçu 350 000$ de moins.

Les agences impliquées

Les agences citées dans le rapport -Groupaction, Lafleur, Groupe Everest, Communication Coffin, Gosselin - entretenaient des liens étroits avec le Parti libéral du Canada. Dans la majorité des cas, ces généreuses commissions ont été touchées dans le cadre d'opérations douteuses, sans respect du Parlement et des règles de passation de contrats en place, note la vérificatrice. Le rapport note que les fonds ont été transférés «au moyen de méthodes fort discutables».

«C'est vraiment inquiétant et la seule conclusion à laquelle on peut arriver, c'est que les transactions ont été conçues pour verser des commissions à des agences de communication qui n'ont pas livré de services pour ces transactions. Elles encaissaient un chèque et émettaient un autre chèque. Elles ne faisaient aucun service», mais empochaient de généreuses commissions, a expliqué Mme Fraser en conférence de presse.

Groupaction Marketing inc. a reçu des contrats d'une valeur de 1,6 million de dollars en 1997, 1999 et 2000. Avec d'autres agences (Lafleur, Media/I.D.A.Vision et Gosselin), Groupaction a touché 440 000$ en commissions dans le contrat de 5 millions de dollars de commandites pour la série télévisée sur Maurice Richard, produite par la firme L'Information essentielle. Lafleur Communication Marketing (passée aux mains de Groupaction en 2001) fut une des trois agences ayant obtenu 1,3 million en commissions à même la participation fédérale aux célébrations du 125e anniversaire de la GRC. À l'occasion de l'octroi de 1,5 million de dollars de Communication Canada à la Société du Vieux-Port de Montréal, Lafleur et Media/I.D.A. Vision perçurent 225 000$ en commissions. Le Groupe Polygone Éditeurs inc. a reçu près de 40 millions de dollars pour faire la promotion du gouvernement fédéral dans ses publications et pour l'organisation de salons de chasse et de pêche. En 2000, l'agence a reçu 330 000$ pour un salon de chasse et de pêche qui n'a jamais eu lieu.

Il a été prouvé que les agences de communications impliquées ont versé de généreuses contributions au parti. De 1993 à 2003, Groupaction a versé 120 000$ au Parti libéral du Canada. De 1993 à 2003, Everest a versé 116 000$ au Parti libéral du Canada. De 1993 à 2003, Lafleur Communication Marketing a versé 62 000$ au Parti libéral du Canada.

Les sociétés d'état impliquées

La Vérificatrice générale a révélé que des sociétés d'États ont été mises à contribution afin de financer la stratégie de visibilité du gouvernement fédéral. «Des fonds de commandites ont été transférés à des sociétés d'État en utilisant des méthodes inhabituelles qui semblent avoir été conçues pour donner des commissions importantes à des agences de communication, tout en cachant l'origine de ces fonds et la vraie nature de ces opérations.» Voici les principales sociétés impliquées:

Postes Canada a contribué pour 1,6 million de dollars à la production, par une compagnie privée, d'une série sur Maurice Richard, sans signature de contrat.

Via Rail a servi d'intermédiaire pour le versement, par Lafleur Communications Marketing, de près de 1 million de dollars aux producteurs de la série sur Maurice Richard. La transaction s'est faite au moyen de ce que la vérificatrice générale a appelé «un contrat fictif» (fictitious contract).

La Banque de développement du Canada (BDC) a participé au transfert d'argent des commandites à L'Information essentielle, compagnie productrice de la série Le Canada du millénaire. Ce transfert a été effectué sans contrat écrit. Il est intéressant de noter que l'ancien président de la banque, François Beaudoin, avance qu'il a été forcé de démissionner de la Banque parce qu'il avait refusé d'accorder un prêt de 615 000$ à Yvon Duhaime, propriétaire de l'Auberge Grand-Mère de Shawinigan et ami de l'ex-premier ministre du Canada, Jean Chrétien.

La Société du Vieux-Port de Montréal a reçu 1,5 million de dollars pour l'installation d'un écran lumineux au Centre des sciences du Vieux-Port. Elle a touché son chèque par l'intermédiaire de Lafleur et I.D.A. Vision, qui ont reçu 225 000$ en commissions pour leurs services.

Le gouvernement a versé 3 millions pour la célébration du 125e anniversaire de la GRC (la Gendarmerie Royale du Canada). L'argent fut acheminé par trois agences: Lafleur, Media/I.D.A. Vision et Gosselin, qui ont conservé 1,3 million de dollars en commissions et ont remis le solde, soit 1,7 million, à la GRC.

Réaction de Paul Martin

L'affaire plonge le gouvernement fédéral dans l'embarras et l'oblige à agir rapidement. Le premier ministre du Canada, Paul Martin, voulant se distancier encore plus de l'ancienne administration, met la hache dans le programme au lendemain de son arrivée au pouvoir. Ottawa annonce la tenue d'une enquête publique. «Ce qui est arrivé ne doit pas être toléré», déclare Martin. Il promet même de démissionner s'il est démontré qu'il était au courant des manigances et qu'il n'a rien fait pour les empêcher.

L'opposition n'a pas pris de temps de rappeler que le «plan d'action» du gouvernement vient un peu tard. M. Martin était ministre des Finances à l'époque, a noté le chef de l'opposition officielle, Grant Hill. «Pourquoi n'a-t-il rien fait?», a demandé M. Hill.

Est-ce que le premier ministre et ses ministres étaient au courant du fameux stratagème? À cette question, les libéraux fédéraux offrent la même réponse et plaident l'ignorance. Selon leur version des faits, seul un groupe restreint de fonctionnaires du ministère des Travaux publics est à blâmer pour le dérapage. C'est la théorie qu'a défendue le premier ministre, Paul Martin, à tous les assauts des partis d'opposition. M. Martin affirme n'avoir rien su du problème avant que n'éclate le scandale. Tour à tour, les ministres, actuels ou anciens, ont fait la même affirmation.

Ces réponses ne satisfont pas l'opposition. Le Bloc québécois a d'ailleurs rappelé au gouvernement que, dès la fin de l'année 2000, des informations sur des abus dans le programme commençaient à couler. «Comment se peut-il que nous, on le savait, que le NPD, les conservateurs, l'Alliance, le savaient. Que même les Travaux publics, sur leur site Web, à l'automne 2000, parle d'une enquête interne, mais que tous les ministres du cabinet ne le savaient pas?», a questionné Gilles Duceppe.

Paul Martin savait!


Paul Martin
Une lettre adressée à Paul Martin par un dirigeant du Parti libéral du Canada vient hanter le premier ministre, 24 mois plus tard. La lettre, datée du 7 février 2002, signée par Akaash Maharaj, lui demande de s'attarder aux rumeurs voulant que des sommes d'argent transitant par le programme fédéral des commandites aient été utilisées de façon malveillante, à des fins partisanes.

Or, Paul Martin était ministre des Finances à cette époque et il était le ministre senior le plus en vue au Québec. Akaash Maharaj lui mentionne dans son texte qu'il est la personne la plus appropriée pour examiner le dossier. Akaash Maharaj affirme que le bureau de M. Martin a bel et bien accusé réception de la lettre, mais qu'il ne lui a jamais donné suite.


Une direction politique

Le 13 février, Paul Martin admet que les fonctionnaires qui ont utilisé le controversé programme de commandites pour détourner des fonds publics ont agi de la sorte après avoir obtenu des instructions de leurs maîtres politiques. Le premier ministre a promis de démasquer tous ceux qui ont participé à «ce vol», et il a de nouveau affirmé qu'il n'était pas au courant de l'ampleur des malversations jusqu'à tout récemment, même s'il était ministre des Finances au moment où le programme de commandites a été conçu.

Il a aussi laissé entendre que les proches collaborateurs de l'ancien premier ministre Jean Chrétien devaient être au courant des abus, compte tenu qu'ils avaient mis au point la stratégie du gouvernement fédéral pour combattre le mouvement souverainiste au Québec après le référendum de 1995. Mais du même souffle, il a soutenu que son ancien patron est un homme «d'une grande intégrité» et qu'il n'avait pas trempé dans cette affaire.

Martin protège ses ministres

Le 9 mars, Paul Martin refuse de dévoiler le nom des ministres qui ont rencontré, en juillet 1998, les représentants de Groupaction Marketing, l'une des principales agences mêlées au scandale des commandites fédérales. La réunion, organisée par le comité du cabinet sur les communications, a été qualifiée d'«inhabituelle» par des fonctionnaires cités par le Globe and Mail. En 1998, c'est l'ancien ministre des Travaux publics, Alfonso Gagliano, qui présidait le comité sur les communications.

Selon les conservateurs, quatre ministres encore en poste dans le cabinet Martin faisaient partie du comité du cabinet sur les communications, en juillet 1998. Mais malgré les questions insistantes de l'opposition, Paul Martin a refusé de dire quels ministres avaient assisté à la réunion avec Groupaction. Devant le mutisme du gouvernement, le chef intérimaire des conservateurs, Grant Hill, a accusé M. Martin d'avoir trompé la population en ne divulguant pas tous les documents du cabinet qui concernent le scandale des commandites.

Jean Chrétien

Jean Chrétien a éludé toutes les questions de la presse portant sur le scandale du programme des commandites. À coup de plaisanteries et de haussements d'épaules, l'ex-premier ministre a donné un aperçu de la façon dont il aurait traité la crise qui secoue le Parti libéral. «Nous devrions aller faire du ski aujourd'hui, ça vaudrait mieux», a-t-il lancé à la horde de journalistes qui le pourchassaient de son cabinet d'avocats jusqu'au véhicule qui l'attendait.

Jean Chrétien


De passage à Londres le 30 mars suivant, après avoir maintes fois refusé, au Canada, de commenter le scandale, Jean Chrétien prend la défense du programme fédéral des commandites. Il a estimé que ce programme a contribué à empêcher la rupture du Canada. L'ex-premier ministre, qui n'a que rarement abordé ce sujet depuis qu'il a quitté ses fonctions, en décembre, a minimisé la gravité des critiques dont le programme a fait l'objet de la part de la vérificatrice générale. Selon lui, il s'agit d'un simple «problème administratif», qui n'a «rien de nouveau». «Et si quelqu'un a mal agi, je l'ai déjà dit 300 fois en Chambre, alors qu'il aille en prison», a-t-il ajouté, dans son discours devant la Commonwealth Foundation.

Alfonso Gagliano


Alfonso Gagliano
Une demi-heure avant le dépôt du rapport de la vérificatrice générale, Ottawa démet de ses fonctions d'ambassadeur du Canada au Danemark l'ancien ministre libéral Alfonso Gagliano. Le ministre des Affaires étrangères, Bill Graham, évoque la nécessité de protéger la réputation du Canada. Lorsqu'il était ministre des Travaux publics, M. Gagliano était responsable du programme de commandites.

Un mois après avoir été congédié, Gagliano rencontre la presse. M. Gagliano a dit avoir été congédié par le premier ministre Martin avant que la preuve ait été faite qu'il avait mal agi et qu'il ait eu la chance de faire connaître sa version des faits. M. Gagliano envisage aussi un recours juridique contre le gouvernement fédéral.


Il a affirmé qu'en sa qualité de ministre des Travaux publics il n'avait rien vu des 100 millions de dollars qui avaient été dilapidés entre 1997 et 2002. Dans une lettre ouverte, M. Gagliano a expliqué avec détails les origines du programmes des commandites et affirmé avoir ordonné une vérification interne du programme des commandites en 2000. «Je me suis acquitté de mes responsabilités ministérielles avec intégrité et honnêteté», a-t-il écrit.

Du même souffle, il affirme n'avoir joué aucun rôle dans l'attribution de contrats et de n'être au courant d'aucune mauvaise conduite de la partie des parties en cause. En outre, M. Gagliano a assuré n'avoir rien eu à voir dans la sélection des agences de publicité chargées de distribuer les commandites ni d'avoir su que des contributions avaient été versées par ces agences au Parti libéral du Canada.

Première contradiction

Les propos de Gagliano contredisent toutefois ceux tenus par l'ex-sous-ministre des Travaux publics de 1993 à 2001, Ran Quail, qui comparaissait devant le Comité des comptes publics. M. Quail a soutenu que M. Gagliano était en contact direct avec la petite équipe responsable du programme des commandites. M. Quail a aussi dit que M. Gagliano tenait à être impliqué de très près dans le programme des commandites et qu'il s'agissait là d'une pratique qui n'est pas normale dans la fonction publique.

Gagliano témoigne

Le 19 mars, Alfonso Gagliano s'est fait sermonner à plusieurs reprises par les membres du comité des comptes publics, qui l'ont accusé soit d'être incompétent, soit de carrément mentir au sujet du rôle qu'il a joué dans le scandale des commandites.

Ces reproches sont venus non seulement des députés de l'opposition, mais aussi des députés libéraux, qui avaient du mal à cacher leur colère et leur frustration devant le refus de M. Gagliano d'accepter quelque responsabilité que ce soit dans ce que l'ancien ministre a lui-même qualifié de fiasco administratif. M. Gagliano a continué de clamer son innocence en affirmant qu'il n'avait vu aucune irrégularité durant son passage au ministère des Travaux publics et qu'il ne s'est jamais ingéré dans la gestion du fameux programme.

Un deuxième témoin contredit Gagliano

Le 29 mars, encore une fois, un témoin clé dans l'affaire du scandale des commandites a contredit devant le comité des comptes publics l'ancien ministre Gagliano. Celui-ci avait affirmé lors de sa comparution, que le vérificateur interne du Ministère l'avait informé en septembre 2000 que les ratés du programme n'étaient que de nature administrative.

Norman Steinberg, le directeur général de la vérification et de l'éthique à Travaux publics, a rejeté catégoriquement cette version des faits. «Je suis profondément perturbé, a déclaré M. Steinberg, par le fait que certains ont cru que nous avions caractérisé les problèmes comme des problèmes administratifs. Je suis d'avis qu'il s'agissait de fautes importantes et inacceptables.» M. Steinberg a affirmé que les problèmes énumérés dans sa vérification interne de 2000 étaient beaucoup plus que de simples problèmes «administratifs»- contrairement à ce qu'a soutenu M. Gagliano- et que le processus de sélection pour choisir les agences de communication ne respectait aucunement des règles établies par le Conseil du Trésor. Le rapport qualifiait le processus de «subjectif», ajoutant que le cadre de gestion du programme était «inadéquat» et qu'il ne garantissait pas que le gouvernement obtienne le meilleur rapport qualité-prix possible.

Gagliano contredit une troisième fois

Le 20 avril, lors d'un témoignage à huis clos au Comité des comptes publics, la fonctionnaire Huguette Tremblay a révélé que l'ancien ministre Gagliano avait eu des discussions sur une base hebdomadaire avec le fonctionnaire responsable du programme des commandites, Charles Guité. Madame Tremblay a également déclaré que les directives du ministre devaient être suivies «aveuglément».

Or, M. Gagliano a affirmé devant le Comité, la semaine dernière, qu'il s'entretenait 3 ou 4 fois par année seulement avec M.Guité. Il a aussi maintenu qu'il était très peu au courant du programme.

Une autre fonctionnaire contredit Gagliano

Déjà largement contredite, la version de l'ex-ministre Alfonso Gagliano voulant qu'il ne s'ingère pas dans le programme de commandites a volé en morceaux à la suite du témoignage d'une autre fonctionnaire qui affirme que l'ancien ministre était impliqué dans le processus décisionnel des contrats de commandites.

Isabelle Roy, qui a occupé un poste au sein du cabinet de M. Gagliano avant d'être transférée à la direction responsable du controversé programme, a dépeint au comité parlementaire l'image d'un ministre qui n'hésitait pas à intervenir dans les décisions reliées aux commandites. «Lorsque M. Guité rencontrait soit le chef de cabinet (Pierre Tremblay), soit le ministre (Alfonso Gagliano), ils avaient des discussions sur les dossiers et suite à ces discussions, il y avait des décisions qui étaient prises», a relaté Mme Roy, précisant que les directives émanant du «bureau du ministre étaient verbales». La fonctionnaire a indiqué que certaines commandites étaient soumises au bureau du ministre qui pouvait par la suite les «recommander fortement». Il arrivait aussi que le ministre renverse une décision prise par les fonctionnaires.

Ce témoignage vient contredire directement celui de l'ancien ministre des Travaux publics qui affirmait qu'il laissait aux fonctionnaires et plus précisément au directeur des commandites, Charles Guité, le soin de gérer le programme.

Plus encore, selon sa version, il ne rencontrait que M. Guité de trois à quatre fois par année. Les observations de Mme Roy lui font plutôt dire que les deux hommes se rencontraient régulièrement, «peut-être une fois par mois, si pas plus».

Le témoignage de Charles Guité

Le 22 avril, Charles Guité, ancien directeur du programme des commandites, témoigne devant le comité des comptes publics. Il affirme que le bureau de Paul Martin, alors ministre des Finances du gouvernement Chrétien, serait intervenu «plusieurs fois» pour que les noms de certaines firmes soient inscrits sur la liste des agences pouvant obtenir des contrats de commandites. Charles Guité a ajouté que M. Martin n'était pas intervenu personnellement mais son personnel politique, oui, et à plusieurs reprises, en faveur de la firme de consultants Earnscliffe. M. Guité a également déclaré que les Canadiens «auraient des surprises» s'ils demandaient à l'organisme fédéral responsable de l'accès à l'information tous les contrats qui sont allés à cette compagnie. S'il est prompt à jeter la pierre pour régler des comptes avec M. Martin, M. Guité s'est cependant assuré de bien protéger ses anciens patrons dont Alfonso Gagliano et Jean Chrétien.

Suite à ces déclarations, le président du comité, le conservateur John Williams, a mis en doute la crédibilité du témoin. «Il a des amis et des ennemis. Il y a des personnes qu'il est prêt à dénoncer, d'autres qu'il protège, a dit M. Williams. Il faut se questionner sur les motifs derrière ses commentaires sur M. Martin.»


Charles Guité
Guité a aussi indiqué que l'ancien ministre des Travaux publics, Alfonso Gagliano et le bureau de l'ancien premier ministre Chrétien participaient aux décisions pour déterminer quels événements devaient recevoir l'argent du programme des commandites. Au sujet du choix des firmes de communication, Guité explique: «Nous ne voulions pas faire affaire avec une agence à tendance séparatiste. Nous n'aurions pas engagé une agence pour faire la promotion de l'unité nationale si cette même agence travaillait pour les séparatistes de son côté». Le gouvernement punissait ainsi toutes les agences qui OSAIENT signer des contrats avec des groupes souverainistes en les privant de contrats fédéraux. On amène ainsi le délit d'opinion à un tout autre niveau!


Guité et Brault arrêtés

Le 10 mai, le président et fondateur de Groupaction, Jean Brault, et l'ancien fonctionnaire responsable du programme des commandites, Charles Guité, ont été arrêtés pour une fraude totalisant 1 967 000$ en lien avec le scandale des commandites. Les deux hommes sont accusés d'avoir comploté dans l'attribution de contrats à la firme Groupaction entre 1996 et 1999. Le procureur général du Québec a mis plus de deux mois pour conclure que la preuve était suffisante pour porter des accusations de fraude contre les deux hommes. Ils feront face à six chefs d'accusation, soit une accusation de complot et cinq accusations de fraude. Les deux hommes plaident non coupables. Avant ces arrestations, une seule personne avait été formellement mise en accusation dans la foulée du scandale des commandites. Il s'agit du président de la firme Communication Coffin, Paul Coffin. Dix-huit chefs d'accusation ont été prononcés contre l'homme d'affaires cinq mois auparavant.
Jean Brault
Photo: Ivanoh Demers, La Presse


Fin des travaux du comité

Le 12 mai, le gouvernement annonce la fin des travaux du comité. Des députés des trois partis de l'opposition à Ottawa ont dénoncé la fin des travaux du comité des comptes publics qui enquêtait sur le scandale des commandites. «Il n'y a personne qui croit Paul Martin lorsqu'il dit qu'il n'était pas au courant», a affirmé le représentant du Bloc québécois.

Le Bloc québécois juge déplorable que l'ajournement des travaux ne permette la production d'un rapport complet, considérant que celui présenté sera «bâclé».

Les Québécois blâmés!?!

Un sondage Léger marketing révèle que près du tiers des citoyens de certaines provinces sont d'accord avec l'énoncé voulant que «l'affaire des commandites est la façon de faire de la politique au Québec».

Ce sont ainsi 31% des citoyens de l'Alberta, 30% des citoyens des Provinces atlantiques et 29% des Prairies (Saskatchewan et Manitoba réunis) qui sont d'accord avec cette affirmation. 27% des Canadiens, excluant les Québécois, sont d'accord avec l'opinion voulant que l'affaire des commandites illustre bien la façon de faire de la politique au Québec; 51% ne sont pas d'accord, alors que 22% refusent de répondre ou ne savent pas.

La punition du peuple


Gilles Duceppe
Lors des élections fédérales du 28 juin 2004, les électeurs québécois font connaître leur indignation au gouvernement libéral. Des 75 sièges du Québec à la Chambre des communes, 54 reviennent à des candidats du Bloc québécois et seulement 21 à des libéraux. Le Bloc obtient ainsi environ 50% des suffrages. Gilles Duceppe, le chef du Bloc, déclare: «Les Québécois ont rejeté la tentative des libéraux de vouloir les acheter à coup de drapeaux et de commandites!»

Malgré la vague bleue qui déferle sur le Québec, l'Ontario vote encore rouge et Paul Martin reste au pouvoir, toutefois à la tête d'un gouvernement minoritaire. Aux Québécois, Martin déclare: «Nous avons compris votre message.»


Ouellet et Postes Canada

Le 31 juillet, le rapport de vérification déposé par la firme Deloitte & Touche au bureau du ministre fédéral du Revenu, John McCallum, est dévastateur. On reproche au président-directeur général de la Société canadienne des postes, André Ouellet, d'être intervenu dans le processus d'achat de produits et services pour une somme de 35 millions, d'avoir usé de son influence pour faire embaucher du personnel, ainsi que d'avoir réclamé des allocations de dépenses pour plus de 2 millions, sans pièces justificatives. M. Ouellet a aussi omis de fournir les pièces justificatives pour ses dépenses de voyages et d'hébergement, qui oscillaient entre 127 000$ et 327 000$.
André Ouellet

On apprend qu'André Ouellet est intervenu si souvent pour favoriser l'embauche de plusieurs dizaines de personnes que la société d'État a dû créer une structure spéciale pour gérer ce système parallèle d'embauche appelé «embauches spéciales». Coût du processus: plus de 3 millions de dollars. Le rapport identifie 87 embauches spéciales dont «presque toutes» ont été favorisées par M. Ouellet «Dans la plupart des cas, lit-on dans le rapport, des postes étaient créés spécifiquement pour le bénéfice des personnes retenues par l'embauche spéciale et non pour combler des besoins existants de l'organisation.» De plus, ces personnes n'étaient pas soumises à des entrevues officielles mais plutôt à une «rencontre officieuse afin de discuter du type de poste qui les intéressait (...) À maintes occasions, les références n'étaient pas vérifiées et les contrôles de sécurité n'étaient pas effectués».

Suite au dépôt du rapport, Ouellet accorde une entrevue au quotidien Ottawa Citizen et déclare qu'il méritait les deux millions de dollars qu'il a dépensés en frais de déplacement et d'hébergement ces huit dernières années. Il a notamment souligné au qu'il avait redressé la société d'État. «Je ne suis pas du tout embarrassé par mes dépenses», a-t-il soutenu.

Le 12 août suivant, Ouellet démissionne de ses fonctions. L'ancien ministre libéral touchera environ 33 000$ par an en pension de Postes Canada. Combiné aux 83 000$ auxquels il a droit comme ex-député et ex-ministre, cela porte son revenu de retraite à 116 000$ par an. La Société canadienne des postes n'a pas voulu divulguer le montant exact de la pension de M. Ouellet, invoquant le respect de la vie privée. Elle a toutefois reconnu que son salaire de PDG se situait entre 256 600$ et 301 900$.

Volte-face des Libéraux!

Une fois les élections fédérales passées, le Parti libéral du Canada déclare qu'il n'a pas l'intention de rembourser les dons qu'il a obtenus des firmes de publicité de Montréal éclaboussées par le scandale de commandites, à moins que les dirigeants de ces firmes ne soient reconnus coupables d'accusations criminelles.

Il s'agit d'un revirement de taille que les partis de l'opposition ont vertement condamné, le 31 août. En effet, quelques semaines seulement avant le déclenchement de la campagne électorale, le lieutenant politique de Paul Martin au Québec, Jean Lapierre, avait affirmé que le PLC rembourserait aux contribuables toutes les contributions obtenues par les firmes de publicité. Il avait alors affirmé que les libéraux ne voulaient pas «faire une campagne électorale avec de l'argent souillé». Soucieux de calmer la grogne des électeurs avant de les convoquer aux urnes, Paul Martin avait déclaré le 4 mars à Montréal, au cours d'une conférence de presse en compagnie de son lieutenant politique, qu'il appuyait «totalement» les propos de M. Lapierre.

Or, les dirigeants du PLC affirment maintenant qu'ils rembourseront uniquement les dons faits par les entreprises dont les dirigeants auront été reconnus coupables des accusations qui pèsent sur eux devant les tribunaux. Le député libéral d'Honoré-Mercier, Pablo Rodriguez, qui est également président de l'aile québécoise du PLC, a affirmé que M. Lapierre a «été mal interprété».

Le Bloc québécois et le Parti conservateur ont réagi avec colère en apprenant les intentions des dirigeants du PLC. «C'est très, très regrettable. Malheureusement, ce n'est pas surprenant. C'est épouvantable. Cela alimente le cynisme de la population», a déclaré le député bloquiste Benoît Sauvageau. «Les libéraux n'en sont pas à leur premier revirement. C'est assez incroyable de voir qu'en début de campagne électorale, M. Lapierre avait reconnu que cet argent-là était sale. Il disait qu'ils rembourseraient les sommes aux contribuables. Maintenant que les élections sont derrière eux, ils changent leur fusil d'épaule. Est-ce que cela veut dire que cet argent n'est plus sale?» s'est demandé Josée Verner, porte-parole du Parti conservateur pour le Québec. «M. Lapierre disait même que le tout sentait le poisson pourri dans le réfrigérateur. Il faut conclure que M. Lapierre est en train de s'habituer à l'odeur», a-t-elle ajouté.

Quelques jours plus tard, le 7 septembre, on va encore plus loin. Après avoir juré de recouvrer toute somme d'argent versée de manière «inappropriée» à des agences de publicité proches des libéraux, on apprend que le gouvernement Martin pourrait plutôt choisir de passer l'éponge parce que cette tâche risque d'être trop coûteuse et quasi impossible à réaliser. On apprend également que l'avocat-conseil embauché par le gouvernement Martin en février pour mener à bien cette mission, Me André Gauthier, n'a pas réussi à récupérer quelque somme que ce soit jusqu'ici.

La Commission Gomery amorce ses audiences publiques

Le 7 septembre marque le début des audiences publiques de la Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires. C'est le juge John Gomery, de la Cour supérieure du Québec, qui préside l'enquête. En vertu de son mandat, la commission n'a pas le pouvoir «d'imputer une responsabilité criminelle ou civile» et devra simplement émettre des recommandations.

John Gomery


Plus de dix millions de pages de documents à décortiquer, 40 personnes à temps plein, deux bureaux à Ottawa et Montréal qui tournent à plein régime, des centaines de citations à comparaître et de demandes de renseignement, et des millions déjà dépensés avant d'avoir entendu un seul témoin. La commission Gomery est l'une des enquêtes publiques les plus difficiles et les plus coûteuses jamais mises sur pied par Ottawa.

Mme Fraser et son équipe, les premiers témoins à se présenter devant le juge Gomery, ont expliqué que de 1997 à 2001, les rapports de performance annuels du ministère des Travaux publics ne faisaient aucunement mention du programme de commandites, bien que plus de 40 millions de dollars par année y étaient consacrés. Ainsi, au plus fort des activités de commandites du gouvernement fédéral, le controversé programme échappait à l'attention du public. «Le Parlement n'a jamais vraiment été informé que le gouvernement menait des activités de commandites», a fait valoir Mme Fraser, précisant que la première mention remonte à 2001.

Pendant la majeure partie de la deuxième journée du témoignage de Mme Fraser, les vérificateurs ont passé au crible des exemples précis de commandites. Généreuses commissions versées sans raison apparente et parfois pour des événements nébuleux, possibilité de double facturation, destruction des factures reliées à la commandite du 125e anniversaire de la Gendarmerie royale du Canada, contrat fictif ou inexistant; les vérificateurs ne manquaient pas d'exemples de mauvaise gestion des commandites. Des tire-bouchons d'une valeur de 10 000$ pour la GRC payés deux fois, une commandite de 1,9 million de dollars au Journal de Montréal sans que l'on sache de quoi il s'est agi, des chevaux achetés par la GRC à même les fonds de commandites destinés aux célébrations de son 125e anniversaire, la vérificatrice générale a continué à réciter la litanie des abus.

Le rôle de Chrétien

L'ancien premier ministre Jean Chrétien a été prévenu dès le lancement du programme fédéral des commandites qu'il était responsable des dépenses et de l'attribution de ces fonds. Des documents déposés mardi le 14 septembre à l'enquête publique sur le dossier des commandites démontrent que Jocelyne Bourgon, alors greffière du Conseil privé, a écrit à M. Chrétien à l'automne de 1997 pour établir les champs d'autorité dans ce dossier.

Mme Bourgon a noté que le ministre des Travaux publics - qui était alors Alfonso Gagliano - serait responsable des procédures administratives et financières du programme. Mais parce que M. Chrétien avait personnellement signé les documents autorisant des dépenses, il avait aussi un rôle. Sa responsabilité ne consistait pas qu'en la simple définition des orientations politiques générales mais elle s'appliquait aussi à la sélection des événements à financer, a écrit Mme Bourgon.

Durant son témoignage, Jim Judd, actuel sous-ministre du Conseil du Trésor, a affirmé que la responsabilité de M. Chrétien s'était limitée à la définition des orientations politiques générales et aux dépenses globales. Alors qu'il répondait aux questions du conseiller juridique de la commission, Neil Finkelstein - et à la lumière de la note de service de Mme Bourgon -, M. Judd a modifié cette déclaration. Il a reconnu que M. Chrétien avait apparemment «une certaine responsabilité» dans certains aspects plus précis, notamment la sélection des projets à financer.

Des documents déposés lundi le 20 septembre devant la Commission laissent entrevoir que le bureau de Chrétien aurait joué un rôle prédominant dans le processus de décision entourant les projets de commandites. Plus encore, selon les documents, le bureau de Jean Chrétien aurait exercé un rôle si important que le ministre des Travaux publics, peu importe qui était en poste, n'aurait eu qu'à se plier aux décisions.

Le premier exemple de cette influence du cabinet de l'ancien premier ministre se trouve dans une note de service écrite le 21 juin 1996 par le sous-ministre des Travaux publics, Ranald Quail, à sa ministre de l'époque, Diane Marleau. Le document fait état d'une minisérie télévisée intitulée Aux quatre coins du monde, et pour laquelle le gouvernement fédéral souhaite contribuer 450 000$. Après une description du projet, qui passerait par l'entremise du service de publicité du ministère des Travaux publics, le sous-ministre conclut en disant: «Nous vous tiendrons au courant dès que la décision de participer ou non à ce projet sera prise par le cabinet du premier ministre.»

Cette influence était toujours apparente environ un an plus tard, alors que le ministre Alfonso Gagliano est en poste. M. Chrétien a toujours nié avoir eu un mot à dire dans le processus décisionnel et la gestion du controversé programme de commandites. Or, on constate que l'ancien premier ministre Jean Chrétien a joué un rôle de premier plan dans les commandites fédérales, et cela près d'une année avant que le tristement célèbre programme de commandites ne soit formellement créé.

La stratégie post-référendaire dévoilée

Lutter contre les «mythes et mensonges séparatistes», contrer l'image que les Canadiens anglais n'aiment pas les Québécois et surtout, démontrer comment le fédéral peut travailler pour le bien du Québec en répandant sur toutes les tribunes le message fédéraliste: voilà les grandes lignes du plan d'action sur l'unité nationale adopté par le gouvernement de Jean Chrétien, en janvier 1996.

Ces détails, dévoilés dans des documents déposés mardi le 28 septembre devant la Commission d'enquête sur le programme de commandites, proviennent d'un rapport du comité spécial sur l'unité nationale présidé par le ministre des Affaires intergouvernementales de l'époque, Marcel Massé. Le rapport portait principalement sur l'approche à adopter afin de combattre les forces souverainistes.

Pour faire passer le message fédéraliste au Québec, «les ministres recommandent la création d'une équipe de réponse rapide au sein du secrétariat (des Affaires intergouvernementales) pour contrer dans un même cycle d'information les tentatives des séparatistes de créer de nouveaux mythes, de faire de la désinformation ou d'imposer leur interprétation des événements», peut-on lire dans le rapport d'une vingtaine de pages proposé au cabinet et qui aurait dû demeurer secret pendant au moins 30 ans s'il n'avait pas été dévoilé devant la Commission Gomery.

Fortement ébranlé par le résultat du référendum sur l'avenir du Québec d'octobre 1995, il est de notoriété publique que l'ancien premier ministre Chrétien avait fait de l'unité nationale sa priorité. Les documents lèvent maintenant le voile sur l'ampleur des moyens qu'entendait utiliser Ottawa pour éviter de se placer de nouveau dans une situation semblable.

Il s'agit de la rencontre du cabinet la plus importante que le gouvernement n'a jamais tenu, sur le défi le plus grand jamais rencontré, aurait déclaré en introduction le premier ministre Chrétien, qui préside les réunions du cabinet. À la suite de cette rencontre, le conseil des ministres a adopté une stratégie sur l'unité nationale, qui comportait entre autres un volet de visibilité et de promotion de l'identité canadienne. Le controversé programme de commandites faisait partie de cette stratégie.

Paul Martin connaissait l'existence du fonds spécial

Alors qu'il était ministre des Finances, Paul Martin connaissait l'existence d'un fonds spécial destiné à financer le programme fédéral de commandites, a soutenu le sous-ministre des Finances à la commission Gomery lors de son témoignage du 6 octobre. Mais selon Kevin Lynch, il est peu probable que M. Martin ait été impliqué dans le détail des décisions sur la distribution de l'argent des commandites. Comme d'autres témoins avant lui, M. Lynch a souligné que seul le premier ministre - qui était alors Jean Chrétien - pouvait autoriser des dépenses à même ce fonds.

«Mais le ministre des Finances connaissait-il l'existence de la réserve pour l'unité nationale?», a demandé Neil Finkelstein, un des conseillers juridiques de l'enquête dirigée par le juge John Gomery pour faire la lumière sur le scandale des commandites. «Absolument, a répliqué M. Lynch. Dans la mesure où la réserve était reconstituée dans le budget (annuel), alors cela relevait de la responsabilité conjointe de déterminer les prévisions de dépenses.»

Au moment du dépôt du budget, en mars, un adjoint de M. Martin avait dit que M. Martin l'avait aboli dès qu'il en avait appris l'existence. Une affirmation qui avait par la suite été contestée par Eddie Goldenberg, l'ancien bras droit de Chrétien, selon lequel M. Martin avait été informé (du fonds) chaque année, au moment du budget, alors qu'il était ministre des Finances. M. Martin s'était par la suite ravisé et avait reconnu que «tout le monde était au courant de son existence», mais il avait maintenu qu'il n'était pas impliqué dans le détail des décisions sur les dépenses concernant des projets spécifiques.

Le PLC a reçu 1,5 million d'argent «souillé»

Le Parti libéral du Canada reconnaît avoir obtenu 1,5 million de dollars entre 1997 et 2003 de la part des agences de publicité éclaboussées par le scandale des commandites, mais ce n'est pas demain la veille que les dirigeants du parti rembourseront cette somme aux contribuables, en tout ou en partie, comme ils s'étaient engagés à le faire avant le déclenchement des élections.

Deux vérifications comptables réalisées au cours des derniers mois ont permis de calculer la somme totale que le Parti libéral du Canada et son aile québécoise ont reçue des agences de publicité mises en cause dans le rapport accablant de la vérificatrice générale. Les résultats de ces vérifications comptables ont été affichés sur le site Internet du parti à la fin du mois de septembre. À elle seule, l'aile québécoise a empoché quelque 800 000$ et la section nationale, plus de 700 000$.

L'agence de publicité Groupaction a versé 202 500$ à la caisse électorale de l'aile québécoise du PLC. (Ces contributions comprennent aussi celles versées par Gosselin, une firme qui a été achetée par Groupaction dans les années 90.) Everest et sa filiale Media IDA Vision se sont montrés aussi très généreux à l'endroit des libéraux fédéraux au Québec en leur donnant 173 710$ en sept ans. Lafleur Communications a quant à elle versé 97 000$ durant cette même période. Ces vérifications n'explorent toutefois pas le lien entre ces dons et les lucratifs contrats de commandite ou de publicité que ces agences ont obtenus du gouvernement fédéral au fil des ans.

Le député bloquiste Benoît Sauvageau a affirmé: «Le Bloc québécois réitère que toute la lumière doit être faite sur le scandale des commandites et que l'argent sale doit être remboursé. En attendant la conclusion de l'enquête du juge Gomery, le 1,5 million de dollars en contributions douteuses qu'a obtenu le Parti libéral du Canada doit être mis en fiducie. C'est uniquement ainsi que le premier ministre Paul Martin et son lieutenant politique au Québec, Jean Lapierre, respecteront leur promesse».

Un programme bien «caché»

L'ancien ministre des Travaux publics, Alfonso Gagliano, était parfaitement au courant des projets financés par le programme fédéral de commandites, et il savait aussi combien les agences de publicité engagées recevaient en commissions. C'est ce qui ressort du sommaire d'une interview réalisée l'année dernière avec l'un des principaux responsables du programme, Pierre Tremblay, et porté à l'attention de la Commission Gomery le 7 octobre.

M. Tremblay soutient par ailleurs que le budget initial pour le programme - financé par un fonds géré par l'ancien premier ministre Chrétien - était si bien «caché» que même la vérificatrice générale Sheila Fraser n'a pu le retracer. Les affirmations de M. Tremblay recueillies par un comité de trois membres du ministère des Travaux publics seront cependant difficiles à prouver. M. Tremblay vient tout juste de mourir et ne pourra plus jamais apporter de précisions à ses déclarations.

Le comité Demers, après étude de 19 dossiers de commandites administrés personnellement par M. Tremblay, concluait que ce dernier avait contrevenu aux règlements s'appliquant aux contrats fédéraux dans la plupart d'entre eux. Le rapport recommandait «des mesures disciplinaires» contre M. Tremblay «égales à la négligence sérieuse» qu'il avait affiché dans ses fonctions. Cependant aucune mesure disciplinaire n'a été prise contre M. Tremblay et ce dernier a été affecté à d'autres tâches dans un autre ministère.

«La vente de garage du gouvernement»

Le controversé programme de commandites n'aura pas servi uniquement à acheter de la visibilité pour le gouvernement du Canada lors d'événements, mais également des balles de golf portant la signature de Jean Chrétien, des manteaux, des chemises, des montres, des boules de Noël et des cadrans réveils, pour ne citer que ces exemples. Plusieurs de ces achats découlaient directement du bureau de Jean Chrétien, qui était impliqué dans le choix des objets commandés. En fait, l'achat de tels objets relevait de deux personnes, Jean Carle, directeur des opérations au cabinet du premier ministre Chrétien, et Charles Guité, directeur du programme des commandites, qui se rencontraient pour faire leur choix, et ce, sans passer par un processus compétitif.

C'est le 12 octobre que Huguette Tremblay, fonctionnaire au sein de l'équipe de commandites à l'époque, a relaté à la Commission d'enquête qu'elle avait été témoin à au moins deux reprises de ces rencontres spéciales entre M. Guité et M. Carle. Cette façon de faire, pour le moins surprenante, avait poussé Mme Tremblay à la baptiser «la vente de garage du gouvernement». Les échantillons des articles promotionnels étaient étalés dans une salle de conférence «et une sélection d'items était faite par M. Carle.»

Interrogée par le procureur de la Commission, Guy Cournoyer, sur cette pratique, Mme Tremblay a avoué que la formule peut sembler inusitée. «Chez-nous (à la Direction générale des services de coordination des communications), disons que ce n'est pas anormal (...) étant donné la relation que M. Guité, et ensuite M. Tremblay (Pierre), avaient avec le bureau du ministre (Alfonso Gagliano) et le bureau du premier ministre, a déclaré candidement Mme Tremblay. Ce n'était pas quelque chose qu'on se posait beaucoup de question. C'était la façon dont le bureau était géré.»

Une liste de ces objets promotionnels déposée devant la Commission Gomery fait état de manteaux à 675$ chacun, de polos à 58$, de portefeuilles à 55$, d'enveloppes de sac de golf à 210$. Le tout portait bien sûr le mot-symbole Canada ou la feuille d'érable. Non seulement le processus de commande des objets promotionnels allait à l'encontre des règles établies du fédéral, mais les factures font état de pratiques onéreuses pour le gouvernement et profitables pour les agences de publicité produisant les objets.

En novembre 1997, par exemple, Lafleur Communication facture à Travaux publics une somme de plus de 631 000$ pour une série d'objets. L'agence reçoit 15 pour cent en commission pour la gestion du contrat (environ 70 000$), ainsi que près de 12 000$ en frais d'honoraires. Or, les objets ont été produits par Publicité Dézert, une filiale de Lafleur dirigée par Eric Lafleur, le fils de Jean Lafleur, propriétaire de l'agence du même nom!

«Le public canadien a payé 70 000$ pour acheter des items promotionnels (...) Il semble que tout le travail a été fait par Publicité Dézert et que tout ce qu'on récolte se sont des frais d'agence de 15 pour cent pour l'achat», a suggéré le procureur de la Commission Gomery, Guy Cournoyer. Mme Tremblay n'a pu qu'acquiescer à cette affirmation.

Des ministres, dont Paul Martin, sont intervenus

Des milliers de pages de documents sur le programme de commandites, déposés le 12 octobre devant la Commission Gomery, brossent le tableau d'une gestion hautement politisée, où les bureaux des ministres de l'époque, dont celui du premier ministre Paul Martin, n'hésitaient pas à intervenir pour influencer les décisions.

On retrouve, dans des courriels et lettres échangés entre les fonctionnaires, plusieurs noms de ministres de l'époque: Anne McClellan, Paul Martin, John Manley, Denis Coderre, Brian Tobin, Martin Cauchon. Ceux-ci n'ont pas hésité à intervenir pour faire pression en faveur d'un événement cherchant une commandite.

C'est le cas de Paul Martin, alors ministre des Finances, dont le bureau communique avec celui de M. Gagliano en novembre 1999. Dans le cahier de note de Joanne Bouvier, adjointe de M. Gagliano, on peut lire que «le bureau de Paul Martin nous téléphone à savoir pourquoi les Internationaux du sport de Montréal n'ont pas de réponse à leur demande de commandite de 500 000$.» Il est intéressant de noter que les Internationaux du sport de Montréal obtiendront finalement, un mois plus tard, une commandite de 250 000$.

Le premier ministre Martin a toujours nié être intervenu pour faire renverser une décision dans un dossier de commandites, encore plus d'avoir été au courant de l'implication politique dans la gestion des commandites. Pour se défendre, le premier ministre et les ministres risquent de faire valoir, comme l'a déjà fait Denis Coderre avant eux, qu'ils ne faisaient que leur travail de député.

Pour l'opposition, cependant, il en est tout autre. «On a toujours dit que c'était impossible pour M. Martin de ne pas être au courant», a indiqué le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe.

Il ne fallait pas poser de questions

Les témoignages se poursuivent. Le 13 octobre, on apprend que l'ex-ministre des Travaux publics, Alfonso Gagliano, était largement impliqué dans les décisions entourant les commandites. Son bureau avait même mis sur pied un système de classement secret, a expliqué à la Commission Gomery Isabelle Roy, une fonctionnaire qui occupait le poste d'adjointe spéciale au cabinet du ministre.

Gagliano et Chrétien

Interrogée par le procureur de la Commission, Guy Cournoyer, à savoir si les recommandations du ministre Gagliano étaient en fait des décisions, la fonctionnaire a répondu par l'affirmative. «Oui (…) Si le ministre disait que cette année on ne commanditait pas cet événement, et bien on ne le commanditait pas».

L'ex-ministre Gagliano a toujours nié avoir joué un rôle déterminant dans le processus décisionnel entourant les commandites, laissant à M. Guité le soin de gérer le programme. Tout au plus rencontrait-il M. Guité de trois à quatre fois par année, avait-il déclaré devant le comité parlementaire qui s'était penché sur le scandale. À la lumière des témoignages devant la Commission et des documents rendus publics, il semble cependant que M. Gagliano était l'un des acteurs principaux de toute l'affaire.

Les pratiques entourant la gestion des commandites étaient si particulières que les employés de l'équipe de Charles Guité avaient d'ailleurs compris qu'il valait mieux ne pas poser de questions, a expliqué Huguette Tremblay, une fonctionnaire de la direction des commandites qui terminait son témoignage le même jour. «Il faut comprendre que quand on a un patron qui est au niveau d'un sous-ministre adjoint (Charles Guité) et qu'on se rapporte directement à lui, et que lui fait affaire régulièrement avec le bureau du ministre et le bureau du premier ministre, un moment donné on comprend qu'on ne travaille pas dans un environnement (...) normal», a lâché Mme Tremblay.

«On s'habitue à ces choses-là, a-t-elle poursuivi. Appelez ça de la naïveté, appelez ça de la loyauté mal placée, appelez-ça de la stupidité si vous voulez, mais on s'habitue et puis un moment donné ça devient partie de ton quotidien et tu fais ce que tu as à faire. Un moment donné on ne pose plus de questions parce qu'on n'a pas de réponses de toute façon.»

Mme Tremblay se souvient avoir demandé des pièces justificatives pour une facture plutôt élevée présentée par Groupaction. M. Guité lui aurait alors dit de payer la facture et de cesser de poser des questions. «Disons que je n'ai plus vraiment posé de questions après ça», a résumé Mme Tremblay.

La Commission Gomery coûtera au moins 20,4 millions

Le 19 octobre, on apprend qu'il en coûtera au moins 20,4 millions de dollars aux contribuables pour connaître le fin fond de toute l'histoire du scandale des commandites. Cette somme correspond au budget estimé pour couvrir les dépenses de l'année 2004-2005 de la Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités de publicité, présidée par le juge John Gomery. De cette somme, près des trois-quarts (soit 14,7 millions $) serviront à défrayer les coûts des services professionnels, juridiques, informatiques et de transcription.

Le reste du montant servira à couvrir les dépenses en salaires et avantages sociaux (1,07 million), les frais de location d'espace de bureaux à Ottawa et Montréal et une partie du financement des frais juridiques du Parti conservateur et du Bloc québécois (775 000$). Outre le juge Gomery, la Commission emploie 15 personnes à temps complet, et 28 employés contractuels, dont 14 avocats.

La facture risque toutefois de grimper puisque ce budget ne porte que sur une année, de mars 2004 à mars 2005. Or, la Commission poursuivra ses travaux jusqu'à la fin de l'année 2005. Il faut également ajouter à la note les frais juridiques couverts par le gouvernement fédéral. Certains des individus représentés par des avocats pendant toute la durée des travaux de la Commission verront leurs honoraires acquittés par le gouvernement étant donné qu'ils étaient à l'emploi d'Ottawa lors du déroulement des faits sous enquête.

Paul Martin fait la sourde oreille

Quand Paul Martin a-t-il appris que l'une de ses plus proches collaboratrices, Lucille Castelli, a téléphoné au bureau de l'ancien ministre des Travaux publics, Alfonso Gagliano, afin de savoir pourquoi un groupe dirigé par l'ancien joueur de hockey Serge Savard (un libéral notoire à Montréal) n'avait pas obtenu de réponse à sa demande de commandite?

Malgré l'avalanche de questions à ce sujet le 21 octobre à la Chambre des communes par le Bloc québécois et le Parti conservateur, le premier ministre a refusé de dire quand il avait appris que Mme Castelli avait fait de telles démarches, affirmant que la commission Gomery a le mandat de trouver des réponses à ce genre de questions. En tout, M. Martin n'a répondu qu'à trois des 16 questions posées à ce sujet aux Communes, laissant le soin à son ministre des Travaux publics, Scott Brison, d'affronter les tirs nourris des partis de l'opposition. Mais avant, M. Martin a accusé son adversaire conservateur, Stephen Harper, de se livrer à une opération de salissage.

«Si le premier ministre est tellement préoccupé par la vérité, il n'a qu'à nous la dire maintenant et nous serons tous libérés. Le premier ministre ne peut s'attendre à venir à la Chambre des communes et refuser de répondre à nos questions sous prétexte que cela pourrait l'incriminer dans une autre enquête», a lancé M. Harper.

Elle signait les yeux fermés

Une proche collaboratrice et amie de Chuck Guité, Andrée Larose, a signé à maintes reprises des contrats de commandites «les yeux fermés», sur simple instruction de son patron, sans vérifier si ces contrats respectaient les lois et les procédures gouvernementales. C'est ce qu'elle déclare le 26 octobre.

Confirmant devant la commission Gomery que Charles Guité menait à sa guise le programme de commandites comme s'il s'agissait d'un «one-man show», Mme Larose a mis hier la patience du juge John Gomery à rude épreuve en répétant à maintes reprises que si elle avait signé des contrats, dont certains atteignaient 750 000$, comme ce fut le cas pour un contrat donné à la maison de production l'Information essentielle de Robert-Guy Scully, c'était parce que Chuck Guité lui avait dit de le faire. «C'est comme ça que ça se passait dans ce temps-là», a répondu Andrée Larose devant le commissaire visiblement estomaqué.

Le juge John Gomery est d'ailleurs intervenu à quelques reprises, au cours de l'interrogatoire mené par Me Bernard Roy, procureur principal de la commission, pour tenter de savoir pourquoi Mme Larose avait «fermé les yeux» lorsqu'elle apposait sa signature sur des contrats et pourquoi surtout «elle signait n'importe quoi». «Vous assumiez une responsabilité», lui a fait valoir le juge, qui lui a souligné qu'elle ne pouvait affirmer qu'elle n'était pas «impliquée» tout en lui rappelant qu'elle violait l'article 2034 de la Loi sur les finances publiques chaque fois qu'elle signait des documents «à la demande de son patron sans se poser de questions». «C'est un geste important», lui a lancé le commissaire.

Mme Larose a approuvé, entre autres exemples et toujours en suivant les directives de son patron, des contrats destinés à trouver un logo au Bureau d'information du Canada (BIC). Ces contrats paraissent cependant abusifs puisqu'ils sont destinés à six agences de communication qui sont chargées de faire le même travail. En tout, selon les documents déposés hier devant la commission, 620 000$ ont été dépensés pour la conception et l'essai du logo du BIC par les maisons Environics (70 000$), BCP (150 000$), Vickers and Benson (50 000$), Palmer Jarvis (50 000$), Compass (50 000$) et Groupe Everest (200 000$). «Ça fait beaucoup d'argent pour un logo», n'a pu s'empêcher de commenter le procureur Bernard Roy.

Mme Larose a de plus confirmé, à la suggestion de Me Roy, qu'elle avait des liens d'amitiés avec Chuck Guité, que ce dernier était un «solitaire» dans sa façon de travailler, qu'il n'aimait pas déléguer ses responsabilités, qu'il envoyait rarement de courriels à l'interne pour ne pas laisser de trace, qu'il travaillait avec une déchiqueteuse sur son bureau et qu'il menait une organisation «de broche à foin» tant le partage de l'information entre les employés était inexistant, tant le travail n'était pas structuré. Mme Larose a affirmé également que les employés qui ont travaillé avec Chuck Guité à cette époque étaient appelés à remplir n'importe quelle fonction dans le bureau.

Enfin, le commissaire Gomery a fait appel à la bonne volonté du Parlement hier pour l'aider à aller au fond des choses dans le scandale des commandites. Le juge Gomery estime en effet que le travail de la commission serait plus facile si cette dernière pouvait interroger certains témoins sur des déclarations déjà faites devant le Comité des comptes publics. Les avocats de la Chambre des communes estiment pour leur part que cela est impossible puisque ces témoins jouissent de l'immunité parlementaire. Le juge Gomery souhaite que les élus se penchent sur la possibilité de lever cette immunité.

Le rôle de Paul Martin

Le premier ministre Paul Martin, à l'époque où il était ministre des Finances, aurait fait des représentations pour l'agence de publicité Groupe Everest, a laissé entendre le procureur de la Commission Gomery, Bernard Roy, le 26 octobre. Ses tentatives d'élaborer sur le sujet ont toutefois été contrecarrées, l'avocat du gouvernement du Canada s'objectant aux questions de M. Roy.

L'affrontement entre les deux avocats est survenu lorsque Me Roy interrogeait le témoin du jour, Andrée Larose, sur un contrat de 65 000$ obtenu à l'automne 1995 par Groupe Everest, pour le compte du Bureau fédéral de développement régional, l'agence fédérale maintenant connue sous le nom de Développement économique Canada. De 1993 à 1996, M. Martin était ministre responsable de cette agence. Le contrat de 65 000$ alloué à Everest couvrait les frais de production d'annonces radiophoniques et de dépliants dans le cadre de la Semaine de la PME. En plus des frais de production, Ottawa a également déboursé 500 000$ pour les coûts de placement des annonces dans les médias.

Le procureur en chef de la Commission n'avait même pas fini de poser sa question au témoin, Andrée Larose, que l'avocat du gouvernement, Sylvain Lussier, bondissait pour s'opposer. «Est-il à votre connaissance que la candidature du Groupe Everest avait fait l'objet de représentations de la part de M. Martin», a pu dire Me Roy avant de se faire interrompre par Me Lussier.

«Objection, a lancé le procureur du gouvernement. Il n'y a aucune preuve au dossier que M. Martin aurait fait des pressions quelconques (...) Quelle que soit la réponse que donnera Mme Larose à cette question-là, il va y avoir des conséquences.»

La campagne de publicité de la Semaine de la PME, qui s'est étirée d'octobre à novembre 1995 (donc en pleine campagne référendaire), a été financée par l'entremise du fonds pour l'unité canadienne. Mme Larose n'a pu offrir d'explications, mais plus tôt en journée elle avait admis que «1995 n'était pas une année ordinaire». La fonctionnaire, ancienne gestionnaire de la publicité au sein de l'équipe de Charles Guité, a servi pour une deuxième journée consécutive des réponses laconiques à la Commission. Confrontée à des documents portant sa signature, elle a la plupart du temps soutenu ne pas se souvenir des détails.

Lettre ouverte de Gagliano

La Commission Gomery révèle de plus en plus les lacunes du programme de commandites, mais l'ex-ministre Alfonso Gagliano affirme dans une lettre ouverte datée du 28 octobre qu'il s'agissait d'un programme essentiel pour la survie du pays et que le gouvernement de Paul Martin a fait une grave erreur en l'abolissant.

Dans cette longue lettre ouverte envoyée à des quotidiens, M. Gagliano rappelle les faits entourant la création du programme à une époque houleuse, celle du référendum sur la souveraineté du Québec en 1995. En tournant le dos au programme comme il l'a fait, le gouvernement place l'avenir du Canada en péril, soutient l'ex-ministre des Travaux publics.

«En jetant le bébé avec l'eau du bain, le gouvernement Martin a fait une grave erreur, écrit M. Gagliano. Je trouve injuste que l'on oublie aujourd'hui les circonstances qui nous (ont) amenés à mettre en place la stratégie des commandites; pire lorsque c'est le gouvernement Martin lui-même qui souffre de cette amnésie. Il risque de replacer le pays dans l'état où nous l'avions recueilli des mains du gouvernement Mulroney.»

M. Gagliano répète depuis les derniers mois n'avoir jamais outrepassé son rôle de ministre et n'avoir jamais influencé les décisions des fonctionnaires dans l'attribution des contrats ou le choix des agences de publicité. «Si c'était à recommencer, ma conduite ne serait en rien différente de celle que j'ai eue lors de toute cette période», écrit-il. S'il dit ressentir aujourd'hui un «sens du devoir accompli envers le Canada», l'ex-ministre ne manque pas de souligner que le programme émanait d'une stratégie post-référendaire du gouvernement afin de favoriser l'unité nationale, stratégie approuvée par le cabinet en entier. C'est d'ailleurs ce que révèlent des comptes-rendus de réunions du cabinet au début de l'année 1996 déposés devant la Commission. «Tous les ministres ont appuyé alors la stratégie et le déploiement à suivre, y compris les membres du cabinet actuel comme Paul Martin, Anne McLellan, Ralph Goodale, Pierre Pettigrew, Stéphane Dion, Lucienne Robillard et d'autres», peut-on lire dans la lettre de l'ex-ministre.

Bien qu'il argue que le programme était justifié à l'époque et que le gouvernement avait de bonnes raisons d'adopter ce qu'il qualifie de «mesures extraordinaires», M. Gagliano admet qu'il n'endosse pas «les manquements» qui pourraient être dévoilés au cours de l'enquête.

Un témoin décrit son «calvaire»

Le touchant témoignage est livré le 2 novembre. C'est parce qu'il connaissait le sort réservé à ceux qui refusaient de suivre le mot d'ordre du directeur des commandites, Charles Guité, que Mario Parent, bien que mal à l'aise avec la situation qui prévalait, n'a jamais refusé de signer un contrat. Déchiré entre les attentes de son patron et ses réserves face à gestion du programme de commandites, M. Parent a vécu ce qu'il a décrit comme un «calvaire».

Émotif, versant même des larmes pendant son témoignage devant la Commission d'enquête sur le programme de commandites, M. Parent a admis qu'il pouvait constater, à l'époque, que les pratiques n'étaient pas des plus respectueuses des règles. Malgré tout, le fonctionnaire de carrière aura apposé sa signature au bas de contrats représentants plus de 100 millions de dollars. Pour se justifier, M. Parent dit qu'il savait qu'il valait mieux ne pas se dresser en obstacle devant M. Guité, le grand manitou des commandites. «J'ai vu les conséquences pour M. Cutler pour son refus de procéder, je n'avais pas envie de vivre ça pour cinq cennes», a expliqué M. Parent.

Allan Cutler est ce fonctionnaire qui, après avoir dénoncé les pratiques en cours dans l'équipe de M. Guité, aura finalement été démis de ses fonctions sans que ses récriminations ne trouvent une oreille attentive.

M. Parent a décrit son supérieur de l'époque comme un homme déterminé, dont l'autorité n'était pas remise en question, et qui «n'acceptait pas que sa «shop» arrête». En d'autres mots, lorsque M. Guité disait de signer un document, il ne laissait pas beaucoup de place à la discussion.

Le dilemme que vivait M. Parent, c'est qu'il constatait que les réquisitions de biens et services, l'émission des contrats et l'approbation des factures se passaient toutes au sein de la même équipe et sous la même autorité, celle de M. Guité. Dans les organisations, habituellement, ces tâches ne sont pas regroupées sous la même direction. «Lorsque j'étais dans les achats, dans les années 1975 et 1980, c'est arrivé que je n'acceptais pas les demandes des clients, qu'il manquait des choses, que ce n'était pas conforme, a raconté M. Parent. J'étais capable de dire stop, ça ne marche pas. Là (avec les commandites), c'était plus difficile.»

N'empêche, à un certain moment, il dit avoir soulevé la question auprès de M. Guité, qui n'a pas bronché. «C'est comme un «one man band» (...) Il (M. Guité) était tout. Que vouliez-vous que je fasse?», a poursuivi le fonctionnaire.

M. Parent pensait sortir de cette situation, qu'il décrit comme un «calvaire», à la suite du rapport de vérification interne de 1996, qui recommandait de disperser les activités entre divers secteurs du ministère des Travaux publics. Le rapport aura finalement terminé sur une tablette, sans que les recommandations ne soient mises en oeuvre. Le «calvaire» de M. Parent terminera à la fin du mois d'août 1998, moment où le fonctionnaire prend sa retraite de la fonction publique et joint l'équipe de Gosselin Communications, l'une des firmes actives dans le programme de commandites. Dans cette agence de publicité, M. Parent était responsable des dossiers de commandites.

Le témoignage de Guité

Jamais Charles Guité n'avait admis une direction politique dans le programme de commandites. Le 3 novembre, devant la Commission Gomery, il a vidé son sac. Pour la première fois, il a affirmé sans détour que des proches du premier ministre Jean Chrétien et que l'ex-ministre Alfonso Gagliano prenaient part aux décisions dans le choix des commandites et dans l'attribution des contrats aux agences de publicité.

Épinglette du drapeau du Canada à la boutonnière, l'ex-directeur du programme de commandites affichait autant d'aplomb que lors de ses témoignages antérieurs devant le comité parlementaire des comptes publics. Il avait toutefois mis de côté son ton frondeur, acceptant visiblement de collaborer avec la Commission d'enquête sur les commandites. M. Guité semblait d'ailleurs impatient de mentionner le rôle de ses anciens patrons, n'hésitant pas une seconde à affirmer que Jean Pelletier, ancien chef de cabinet du premier ministre Jean Chrétien, et l'ex-ministre Gagliano prenaient des décisions dans les commandites.

«Dans le cas de M. Gagliano, est-ce que ça voulait dire des commentaires ou des discussions, ou bien des décisions?», a questionné le procureur de la Commission, Neil Finkelstein. «Des décisions», a répliqué M. Guité, donnant la même réponse lorsqu'interrogé sur le rôle de M. Pelletier.

C'est la première fois que M. Guité, considéré comme un acteur clé dans toute cette affaire, va aussi loin. Devant le juge John Gomery qui préside la Commission, le fonctionnaire à la retraite a mis de côté toutes les nuances et a cessé de défendre ses supérieurs de l'époque.

Entre janvier 1995 et juin 1997, alors que Diane Marleau était ministre des Travaux publics, M. Guité affirme que le choix des événements à commanditer se faisait lors de rencontres avec M. Pelletier et parfois, également, avec Jean Carle, directeur des opérations au cabinet du premier ministre. Ces rencontres étaient régulières, parfois très fréquentes, a précisé le témoin. Lorsque M. Gagliano prend les rênes du ministère des Travaux publics, en 1997, il sera lui aussi partie prenante de ce processus, a fait observer M. Guité, qui a ajouté qu'il pouvait tout aussi bien rencontrer l'ancien ministre des ses bureaux d'Ottawa ou de Montréal.

«Tout événement majeur, cela veut dire tout événement de plus de 25 000$, avait toujours une implication ministérielle», a poursuivi M. Guité. Dès 1998, le ministre Gagliano prendra d'ailleurs plus de place dans les décisions, éclipsant un peu M. Pelletier et M. Carle. Mais il y avait toujours des interventions du bureau du premier ministre, du bureau du Conseil privé ou du Bureau d'information du Canada, a souligné M. Guité.

M. Guité a de toute évidence décidé de ne pas servir de bouc émissaire dans cette affaire et de faire à la commission des révélations, notamment à propos de tout ce qui concerne la direction politique du programme. Au cours de cette première journée de témoignage il a ainsi contredit les témoignages de l'ancien ministre Gagliano devant le comité des comptes publics tout comme celui de l'ancien chef de cabinet de Jean Chrétien, Jean Pelletier. Les deux hommes avaient affirmé qu'ils n'avaient peu ou pas joué de rôle décisionnel important dans le programme de commandites.

«Est-il juste de dire que vous n'avez jamais pris de décisions sur les événements, les agences et les montants?» a demandé le procureur adjoint de la commission, Neil Finkelstein. M. Guité a répondu qu'il prenait des décisions - exceptionnellement - seulement lorsqu'il s'agissait de sommes inférieures à 25 000$. Toutes les autres décisions pour les contrats, les agences et les sommes d'argent étaient prises par le ministre ou par le bureau du premier ministre. Ses rencontres avec le ministre Gagliano étaient «régulières», a-t-il dit, «normalement une fois par semaine», à ses bureaux ou à l'extérieur du bureau pour des déjeuners. Les rencontres se faisaient en présence du chef de cabinet de M. Gagliano, Pierre Tremblay, récemment décédé.

La première année du règne Gagliano aux Travaux publics (de juin 1997 à janvier 2001), les listes ont été révisées en présence de Jean Pelletier. À partir de la deuxième année, a précisé Chuck Guité, ces listes étaient révisées par le ministre Gagliano, Pierre Tremblay et lui-même. M. Guité a cependant précisé que même pendant toute la durée du règne Gagliano, le bureau du premier ministre «était toujours impliqué dans le choix de certains événements». En même temps, a confirmé M. Guité, Alfonso Gagliano était impliqué en permanence dans le choix des agences, des événements et des sommes d'argent.

«Chuck Guité ne prenait pas ces décisions seul, excepté pour les petites commandites dont vous avez parlé», a suggéré Me Finkelstein. «Exact», a rétorqué Charles Guité.

Liens de Charles Guité avec les agences

La Commission Gomery a effleuré, le 4 novembre, un aspect encore méconnu de toute l'affaire des commandites, en s'interrogeant sur de possibles sommes d'argent que deux agences de publicité auraient versées à l'ancien directeur du programme de commandites, Charles Guité, après son départ de la fonction publique. Les deux agences, dont les présidents font face à des accusations de fraude et de complot pour fraude, auraient versé les montants indéterminés à Oro Communications, l'entreprise que M. Guité avait fondée une fois à la retraite. M. Guité fait aussi face à des accusations de fraude et de complot pour fraude.

«Je crois comprendre que des paiements ont été faits, par Coffin Communications et Groupaction, à Oro Communications après votre départ de la fonction publique. Est-ce vrai?», a questionné le procureur associé de la Commission d'enquête, Neil Finkelstein.

L'avocat de Coffin Communications, Raphaël Schachter, et celui de M. Guité, Richard Auger, n'ont pas laissé le temps au témoin de répondre. M. Schachter a fait valoir que le sujet amenait la Commission en «terrain glissant», étant donné les accusations criminelles et les procès à venir. Pour éviter l'interférence avec les procédures judiciaires, la Commission a d'elle-même décidé d'exclure les contrats à la source des accusations.

Le mystère reste donc entier sur cette question. Mais les liens entre M. Guité et les dirigeants des agences de publicité soulèvent la curiosité de la Commission. Interrogé sur ces liens, M. Guité a admis avoir été à la pêche avec Jean Lafleur (de Lafleur Communication), et aussi avec Claude Boulay (président du Groupe Everest). C'est sans compter les nombreux déjeuners ou dîners de travail qu'il partageait régulièrement avec la plupart des dirigeants d'agences.

L'ancien fonctionnaire n'a pu, cependant, expliquer pourquoi, entre 1995 et 1997, Lafleur Communication obtenait plus de la moitié des contrats de commandites et de publicités, bien que le nom de la compagnie ne se retrouvait pas parmi la liste des agences présélectionnées. En un peu moins de deux ans et demi, Lafleur s'est vu octroyer des contrats totalisant une valeur de 35 millions de dollars.

Guité aurait oublié ses directives

L'ancien directeur du programme des commandites, Charles Guité, témoigne pour une troisième journée devant la commission d'enquête Gomery, aujourd'hui, à Ottawa. Sa mémoire lui a fait défaut le 8 novembre.

Charles Guité a été confronté au témoignage de son ancienne adjointe, Huguette Tremblay. Celle-ci avait affirmé qu'une atmosphère de secret entourait le programme des commandites. Elle avait raconté que lorsqu'elle s'était retrouvée devant une commandite d'un montant élevé pour laquelle les pièces justificatives étaient absentes, elle avait pris l'initiative de téléphoner à la firme Groupaction pour leur demander de fournir des détails.

Elle affirmait avoir reçu un rappel à l'ordre par son patron, Charles Guité, qui lui aurait dit de payer la facture et de ne pas poser de questions. Ce matin-là, M. Guité ne se rappelait pas avoir dit cela. Le juge Gomery a insisté en lui demandant s'il contredisait son ancienne adjointe et M. Guité a répété qu'il ne se souvenait pas.

Guité aurait pu faire des économies

Le 8 novembre, Chuck Guité a admis à la commission Gomery qu'il aurait pu faire les choses autrement, lorsqu'il dirigeait le programme de communications, en faisant affaire directement avec les fournisseurs du gouvernement plutôt que de passer par des agences de commandites, épargnant ainsi des centaines de milliers de dollars versés inutilement en commissions. Serré de près par le procureur adjoint de la commission, Neil Finkelstein, Chuck Guité a plutôt mal paru lorsqu'il a tenté d'expliquer pourquoi il a utilisé à profusion les agences de communication, non seulement pour les commandites mais aussi pour l'achat d'objets promotionnels pour le gouvernement du Canada.

Par exemple, lors d'un concours de création de timbres en 1998, organisé par Postes Canada, la Direction générale des services de coordination des communications (DGSCC), dirigée par M. Guité aux Travaux publics, a commandité l'événement en versant 521 739$ à la société de la Couronne en passant par les agences Lafleur communication et Média Vision. Les deux agences ont reçu 78 000$ en commission simplement pour transférer l'argent.

«Vous avez dit que vous auriez pu transférer l'argent directement à Postes Canada. Auriez-vous pu?» a demandé Neil Finkelstein. «J'aurais pu», a répondu Chuck Guité, qui a reconnu qu'il aurait pu ainsi faire économiser 78 000$ à l'État. Le commissaire Gomery s'est pour sa part offusqué qu'une telle somme d'argent ait été versée pour le simple transfert d'un chèque.

Même chose pour la série télévisée Le Canada du millénaire produite par l'Information essentielle, la maison de production de Robert-Guy Scully. La DGSCC a confié 143 750 $ à Lafleur communication afin que l'agence verse cette somme à l'Information essentielle, retenant au passage une commission de 15 000$.

Un autre contrat donné à Lafleur communication consistait à faire l'achat d'objets promotionnels pour le gouvernement du Canada. Une de ces factures, du 31 mars 1996, s'élevait à 372 696,46$. Parmi les objets achetés, il y avait 2400 balles de golf (7200$) et 1000 boules de Noël (67800$). Il a été révélé hier que non seulement Lafleur communication a touché une commission de 22 786,93 $ sur la transaction, mais qu'elle a confié l'achat des objets à Publicité Désert, compagnie appartenant au fils de Jean Lafleur, Éric Lafleur, qui a facturé l'agence de papa tout en prélevant un profit sur les objets. Une autre facture de Lafleur communication pour des objets promotionnels fait état de 12 000$ en honoraires, et cela en plus de la commission d'agence de 15%.

M. Guité a confirmé qu'il n'y avait pas eu d'appel d'offres pour ces projets étant donné l'urgence de la situation, ce qui est contraire aux règles, a rappelé le procureur adjoint. Me Finkelstein a alors demandé au témoin où était l'urgence d'acheter des balles de golf et des boules de Noël au mois de mars. M. Guité n'a pu répondre à cette question.

Ottawa accusé de nuire à la Commission

Le 1er décembre, le gouvernement libéral a essuyé de sévères reproches du procureur principal de la Commission d'enquête sur le programme de commandites, Bernard Roy, qui l'a accusé à mots couverts de mettre des bâtons dans les roues des travaux de la Commission.

Me Roy a en effet perdu patience devant la lenteur du gouvernement Martin à se plier aux demandes de la Commission de produire une série de documents secrets qu'elle considère comme essentiels au progrès de l'enquête et qui devraient être entre ses mains depuis longtemps déjà. Il a également reproché au gouvernement de lui avoir fourni des documents «caviardés», c'est-à-dire censurés, contrairement aux engagements pris par le premier ministre, Paul Martin.

La Commission souhaite en effet mettre la main sur tous les documents gouvernementaux qui font état du fameux Fonds de réserve pour l'unité canadienne, quasi secret, et sur les confidences du cabinet entre 1996 et 2004 au sujet du Bureau d'information du Canada (BIC). Me Roy était exaspéré de n'avoir rien reçu malgré une lettre envoyée le 1er novembre à l'avocat du procureur général, Sylvain Lussier. Il estime que le gouvernement fait volontairement traîner les choses alors qu'il avait besoin de ces documents pour commencer son interrogatoire de l'ancien directeur du BIC, Roger Collet. Le BIC, organisme créé au sein de Patrimoine Canada en juillet 1996, a en effet reçu des sommes très importantes de ce Fonds qui ont ensuite servi à financer à coups de millions de dollars des commandites et des activités de publicité gérées par Chuck Guité au ministère des Travaux publics.

Me Roy a demandé au commissaire de rendre une ordonnance qui obligera le gouvernement à remettre dans leur intégralité à la Commission tous les documents pertinents aux commandites depuis 1994.

L'ex-greffière confirme le rôle de Chrétien

Jean Chrétien et Alfonso Gagliano étaient politiquement responsables des activités de commandite qui ont été dénoncées par la vérificatrice générale dans son rapport de novembre 2003, a encore témoigné à la commission Gomery l'ancienne greffière du Conseil privé, Jocelyne Bourgon, le 9 décembre.

Me Bernard Roy, le procureur principal de la Commission, lui a notamment demandé d'expliquer si le premier ministre et le ministre demeuraient responsables pour des contrats de commandite donnés à des agences de communication qui ont été rémunérées par le gouvernement sans qu'il y ait eu de services fournis ou peu de services fournis. Me Roy a rappelé dans ce contexte que l'argent pour financer ces activités provenait du Fonds de réserve pour l'unité, un fonds sous le contrôle de Jean Chrétien.

Les séries de Scully ont permis aux agences d'empocher de fortes sommes

Les diverses séries télévisées produites par Robert Guy Scully ont permis à une poignée d'agences de publicité d'empocher de fortes sommes en commissions, et ce, sans même effectuer aucun travail direct dans les productions, a affirmé M. Scully devant la commission d'enquête sur les commandites, lundi le 13 décembre.

Entre 1996 et 2002, cinq agences ont empoché environ 665 000$ en commissions à partir de fonds versés par Travaux publics ou des sociétés de la Couronne, non pas pour du travail effectué, mais pour simplement transférer l'argent entre le gouvernement et les compagnies à l'origine des projets de séries.

À titre d'exemple, des documents produits à la Commission Gomery sur le scandale des commandites démontrent que Lafleur Communication, Groupe Everest, Groupaction et Gosselin Communication ont obtenu un total de 379 000$ en commissions dans le cadre de la série sur Maurice Richard.

Témoignant lundi devant la Commission Gomery, M. Scully a indiqué qu'en aucun cas les agences avaient effectué du travail dans la production des séries, que ce travail avait été accompli par ses propres maisons de production, L'Information essentielle ou Télémission Information. Il savait que les agences de publicité représentaient un «passage obligé», puisque c'est à elles que ses compagnies faisaient parvenir les factures, mais il ne croyait pas qu'elles obtenaient 12 pour cent en commission. Habituellement, le pourcentage versé à une agence de coordination est beaucoup moins élevé, a-t-il noté. «Je n'avais jamais vu ces montants-là avant de m'asseoir au bureau de la vérificatrice générale (...) en juillet 2003, et quand j'ai vu les commissions, j'ai failli tomber en bas de ma chaise», a relaté l'animateur et producteur télé.

Dans tous les cas, Charles Guité était un «instrument important» dans la concrétisation des projets, a témoigné M. Scully. «Jusqu'à son départ, il était essentiel pour tous ceux qui voulaient faire des choses. Il était un peu la banque centrale», a-t-il illustré. Pour le projet précis de la série Maurice Richard, par contre, le rôle de M. Guité s'est avéré «la clé de voûte» de toute l'affaire puisqu'il chérissait le concept qui portait sur un ami personnel, a précisé le témoin à la Commission.

Les avocats de Chrétien exigent la récusation du juge Gomery

Les avocats de l'ancien premier ministre Jean Chrétien ont sorti leur arsenal à la Commission d'enquête sur les commandites, mardi le 25 janvier, en déposant une requête officielle au juge John Gomery exigeant qu'il se récuse.

Dans la volumineuse requête, les avocats de M. Chrétien font valoir qu'à leurs yeux, le juge qui préside la Commission a perdu toute objectivité et a déjà tiré des conclusions alors que la preuve n'a pas été encore totalement présentée. «On croit que les propos du Commissaire causent une appréhension raisonnable de biais ce qui en soit rend le processus inéquitable», a expliqué l'un des avocats de M. Chrétien, Jean-Sébastien Gallant.

Des commentaires du juge Gomery sont à l'origine de cette démarche. Rompant avec l'approche traditionnellement très prudente des juges, le commissaire Gomery a accordé trois interviews en décembre dernier, s'exprimant sur certains témoignages entendus, sur certains témoins et sur son travail en général. Il y décrivait l'ancien dirigeant du programme des commandites Charles Guité comme un «charmant chenapan qui a su enjôler son personnel», affirmait que la gestion du programme était «catastrophique», et qu'il occupait le «meilleur siège du meilleur spectacle en ville». Des balles de golf autographiées par M. Chrétien, le juge disait qu'il s'agissait de «petite politique de mauvais goût» (small town cheap).

S'insurgeant de voir le juge étaler ainsi des réflexions sur la place publique, David Scott, le procureur principal de M. Chrétien, lançait dès la reprise des travaux il y a deux semaines une charge à fond de train contre le commissaire, remettant en question son impartialité et exigeant des explications. Imperturbable, M. Gomery avait répondu aux arguments de l'avocat en tentant de le rassurer, soulignant qu'il n'avait toujours pas tiré de conclusions sur toute l'affaire. Il n'avait cependant pas reconnu que ses propos tenus en décembre étaient inappropriés, comme l'auraient souhaité les avocats. Il avait plutôt indiqué que la justice avait évoluée et, qu'en ce sens, les juges devaient apprendre à sortir de «leur tour d'ivoire» afin de se rapprocher un peu plus du public.

John Gomery demeure en poste

Après un bref moment d'incertitude, les travaux de la Commission d'enquête sur le programme de commandites auront repris leur rythme habituel, mardi le 1er février, après l'annonce du juge John Gomery qu'il rejetait la requête de l'ancien premier ministre Jean Chrétien et qu'il continuait à présider la Commission. Les arguments des avocats de M. Chrétien, qui accusaient le commissaire de parti pris, ne l'auront donc pas convaincu de démissionner.

En lisant sa décision, d'une voix un peu moins sûre qu'à l'habitude, le juge Gomery a répété à de nombreuses reprises qu'il demeurait impartial et qu'il n'avait ou n'a pas tiré de conclusions à la suite des témoignages qu'il a entendus depuis septembre. Mon esprit demeure «ouvert et je répète que je n'ai pas encore tiré aucune conclusion définitive sur aucune des questions dont cette Commission d'enquête est saisie», a déclaré le juge Gomery.

Le commissaire a néanmoins admis, d'entrée de jeu, qu'il avait «fait une erreur» en acceptant de se prêter à des entrevues avec des journalistes avant Noël, et que les commentaires passés lors de ces interviews étaient inappropriés et mal avisés. «Mon manque d'expérience avec les médias est évident pour tout le monde, a tenté de justifier le juge, et (cela) a eu pour effet de détourner l'attention de l'objectif réel de l'enquête.»

Dans sa décision, le commissaire Gomery n'a pas manqué de faire observer que son retrait de l'enquête entraînerait des délais et des coûts supplémentaires. «L'intérêt public serait bien mal servi par une suspension des audiences pour quelque raison que ce soit», a lu le juge Gomery. Lundi, le gouvernement fédéral révélait que les coûts engendrés par l'enquête sur le programme de commandites dépasseraient les 60 millions en deux ans. De cette somme, 20,4 millions iront à la Commission Gomery pour l'année 2004-2005. On s'attend à ce que le budget pour l'année 2005-2006 soit similaire.

Pelletier défend son intégrité

Jean Pelletier, l'ancien chef de cabinet de Jean Chrétien, a défendu son intégrité le 7 février devant la commission Gomery sur l'affaire des commandites, tout en soutenant, à l'étonnement général, la nécessité pour le Canada d'avoir «une cravate qui se tenait».

Le témoignage de M. Pelletier a en effet pris une tournure quelque peu surprenante hier lorsque le procureur Guy Cournoyer l'a interrogé sur une commandite dont il s'est occupé personnellement. Selon des documents mis en preuve hier, M. Pelletier a négocié lui-même en 1998 avec Éric Lafleur, vice-président de l'agence Lafleur Communication, le choix et la commande de 46320$ de cravates ornées de feuilles d'érable, soit 480 cravates à 96,50$ chacune. Lafleur Communication a raflé au passage, en sus du contrat, 8175,48$ de commission. La maison Pluri-design, propriété de Jacques Corriveau, un organisateur libéral très proche de Jean Chrétien, a pour sa part dessiné l'article de mode au coût de 4500$.

«Qu'est-ce que le chef de cabinet du premier ministre fait à discuter de cravates avec M. Éric Lafleur?» a demandé Me Cournoyer. «On a réalisé à un certain moment donné qu'on voulait avoir des cravates de bonne qualité pour remettre à l'étranger aux gens que l'on rencontrait quand le premier ministre faisait ses voyages, a répondu avec une certaine irritation M. Pelletier. Je trouvais que ce que l'on nous fournissait, de façon générale, était de mauvaise qualité et de mauvais goût. Et j'ai pensé que le Canada devait avoir une cravate qui se tenait. J'ai donc demandé à M. Carle de s'organiser pour avoir des cravates. Il a dû passer la commande à M. Guité. M. Guité a choisi (je m'en suis rendu compte après) M. Éric Lafleur.»

Me Cournoyer a alors demandé à Jean Pelletier s'il savait que l'agence Lafleur avait facturé une commission en plus du coût des cravates. «J'ai appris cela et vu la photocopie de la facture la semaine dernière chez mon avocat pour la première fois, a répondu l'ancien chef de cabinet. Et j'ai été scandalisé!»

Chrétien jugeait les commandites nécessaires

Le programme des commandites faisait partie des priorités d'Ottawa après le référendum de 1995, mais l'importance de combattre les souverainistes n'excusait pas les abus, a dit l'ancien premier ministre Jean Chrétien devant la Commission Gomery, le 8 février.

Avant même d'être interrogé par le procureur de la Commission, Bernard Roy, M. Chrétien s'est livré à une longue déclaration pour expliquer le contexte entourant la création du défunt programme, après les résultats serrés du référendum. «L'unité du Canada a été ma priorité à titre de premier ministre», a-t-il rappelé d'entrée de jeu, dans une salle d'audience remplie à craquer.Comme il l'avait déjà déclaré, Jean Chrétien a fait valoir que les commandites étaient nécessaires pour augmenter la visibilité du gouvernement fédéral au Québec et ainsi, combattre les souverainistes sur leur terrain. «C'est le devoir d'un premier ministre de défendre le Canada. J'ai fait mon travail, au meilleur de mes aptitudes. On voulait dire aux Québécois que le Canada est un grand pays pour eux.»

Selon M.Chrétien, la stratégie d'Ottawa répondait à une menace imminente d'une victoire du Oui au référendum. Il a expliqué que l'intervention de Lucien Bouchard a fait tourner le vent en faveur des indépendantistes et demandé: «qui n'aurait pas été nerveux?» Il a aussi dénoncé l'absence de drapeaux du Canada devant les édifices des institutions fédérales au Québec. L'ancien premier ministre a toutefois offert des excuses pour les abus commis dans la gestion du programme. «Je regrette toutes les erreurs qui ont pu être commises. J'accepte la responsabilité autant pour les bons ou les mauvais coups», a-t-il ajouté, en autant qu'elles aient été commises de bonne foi.

Si ces erreurs ont été délibérées, les responsables devront en payer le prix et se retrouver en prison, a précisé M. Chrétien. M. Chrétien a souvent donné de courtes réponses sur un ton agacé au procureur Bernard Roy. Il a dit n'avoir eu connaissance de l'octroi de contrats sans appels d'offres - «aucune idée» - et répondu «non» quand le procureur Bernard Roy lui a demandé s'il savait quel rôle jouait Charles Guité dans l'octroi de contrats. Jean Chrétien a dit préférer que les contrats de commandites aient été accordés à des agences fédéralistes plutôt qu'à des «agences séparatistes».

La comédie vengeresse de Chrétien

En entrant dans la salle d'audience de la Commission d'enquête sur les commandites, l'ancien premier ministre Jean Chrétien a lancé un «Ca va être bon!», tout en affichant l'air polisson de celui qui prépare un mauvais coup. Il n'aura pas menti, ayant utilisé son passage devant le juge John Gomery pour lui remettre la monnaie de sa pièce. Profitant des questions de son avocat, à la toute fin de la journée, mardi, M. Chrétien s'est vengé publiquement des commentaires que tenait le juge Gomery avant Noël.

Dans une mise en scène presque théâtrale, M. Chrétien a sorti de sa grande mallette brune, une à une, des balles de golf de sa collection personnelle et portant la signature de George Bush père, George W. Bush, Bill Clinton et Al Gore.

L'attaque visait sans contredit le juge Gomery. Lors d'entrevues à trois journaux, celui qui préside la Commission avait alors qualifié les balles de golf portant la signature de l'ancien premier ministre de «petite politique de mauvais goût» (small town cheap). Les commentaires avaient poussé le premier ministre a sommé le commissaire de se récuser, ce qu'avait refusé de faire le juge Gomery.

«Celles-ci m'ont été données par un gars du petit village de Crawford, Texas, s'est moqué M. Chrétien. Il s'appelle George W. Bush, et on voit le sceau de la présidence et sa signature.» Mais M. Chrétien n'allait pas en terminer-là, même après l'invitation de son avocat de cesser sa démonstration. «Je m'amuse beaucoup trop», a-t-il lâché, provoquant l'hilarité dans la salle d'audience. Le juge est l'un des rares à être demeuré de glace.

M. Chrétien préparait son dernier coup, celui qu'il gardait pour la fin et qu'il avait visiblement préparé depuis quelque temps. Non seulement il a tenté de tourner au ridicule les travaux de la Commission Gomery, mais il s'est aussi attaqué personnellement au juge, à sa fille Sally et au procureur en chef de la Commission Bernard Roy.

La facture de la commission Gomery augmentera encore

Le 20 février, on apprend que la facture du grand ménage rendu nécessaire par le scandale fédéral des commandites est encore en hausse: elle pourrait avoisiner les 70 à 80 millions, a appris la Presse Canadienne. L'explosion des coûts surviendra quand la commission d'enquête menée par le juge John Gomery soumettra son projet de budget au début de la nouvelle année fiscale s'amorçant le 1er avril.

Selon des sources, les chiffres ne sont pas encore arrêtés, mais les 20,4 millions accordés cette année seraient un bon indicateur. «Vous pouvez vous attendre à ce qu'un montant du même ordre de grandeur soit dépensé au cours de la prochaine étape, a dit un responsable de la commission qui a requis l'anonymat. Peut-être un peu moins.»

Les autorités de la commission d'enquête ont essayé de resserrer leurs dernières estimations avant de les soumettre au Bureau du Conseil Privé et au Conseil du Trésor, qui doivent approuver ces dépenses. Mais en dépit de ces efforts, le coût total des deux années de travaux de la commission pourraient dépasser amplement les 30 millions. Le «pire scénario» consisterait au doublement du budget de la première année, 40 millions, selon une source bien informée.

De surcroît, le gouvernement a déclaré des dépenses de 39 millions encourues aux fins de la commission par quatre ministères, Travaux publics, Conseil du Trésor, Justice et le Bureau du Conseil Privé. Cette enveloppe «n'est pas rattachée en soi au budget (de la commission Gomery), mais s'intègre dans un tout», la commission dans son ensemble, a expliqué la porte-parole du ministre des Travaux publics Scott Bryson, Renée David. Ces dépensent comprennent les coûts générés par le retraçage par les fonctionnaires de millions de pages de documents qui constituent la preuve, les services de traduction, et une foule d'autres déboursés administratifs et juridiques suscités par une cohorte d'avocats.

Chrétien s'adresse à la Cour fédérale

Il a peut-être livré son témoignage devant la Commission d'enquête, mais l'ex-premier ministre Jean Chrétien n'a pas dit son dernier mot. Le 3 mars, ses avocats s'apprêtent à demander à la Cour fédérale de destituer le juge John Gomery de la Commission d'enquête sur le scandale des commandites.

Ce nouveau rebondissement dans l'affrontement qui perdure entre M. Chrétien et le juge survient alors qu'on croyait que l'ancien premier ministre avait réglé ses comptes lors de son passage devant la Commission, au début du mois de février. Des sources proches de M. Chrétien indiquent cependant que des propos tenus plus tôt cette semaine par le juge Gomery auraient fait «déborder le vase».

Lors du second témoignage du greffier du Conseil privé, Alex Himelfarb, le commissaire aurait fait allusion à une «conspiration du silence» entre M. Chrétien et M. Himelfarb. Il n'en fallait pas plus pour que l'ex-premier ministre utilise son dernier recours pour démettre le juge de ses fonctions.


Jean Lafleur
Lafleur traitait ses relations d'affaires aux petits oignons

L'homme d'affaires Jean Lafleur a puisé dans les 3,3 millions de fonds fédéraux versés au soutien du magazine de Via Rail, que produisait sa firme Lafleur Communication Marketing, pour agrémenter la vie de certaines relations d'affaires. Cela établi, le 7 mars, la commission Gomery n'a pu savoir qui a profité des parties de pêche, des équipements sophistiqués de pêche ou encore des billets de hockey pour les Canadiens, la mémoire de M. Lafleur étant déficiente une fois de plus.


Par contre, on a pu apprendre qu'après avoir retrouvé la gestion de la commandite du Grand Prix de Montréal, en 1999, après une année de disette, M. Lafleur a acheté 74 billets, dont 54 avec nourriture et alcool, pour recevoir nul autre que Charles Guité, le gestionnaire du programme des commandites. Il lui a remis 38 billets qui ont été distribués auprès de M. Jean Pelletier (chef de cabinet de Jean Chrétien) qui a lui seul s'est mérité 14 billets, Jean Carle qui a travaillé avec Jean Chrétien puis est passé à la Banque de développement du Canada, Marc Lefrançois de Via Rail (qui a profité de six billets), le président de la Société canadienne des postes André Ouellet (six billets), Jacques Corriveau un designer et grand ami de Jean Chrétien (deux billets), Jean-Marc Bard et Pierre Lesieur du bureau du ministre Alfonso Gagliano.

On sait également que d'autres faveurs faites aux relations d'affaires de M. Lafleur on été portées au compte de la société Satellite, un autre véhicule appartenant à Jean Lafleur et qui servait à entrer les revenus et dépenses reliés au magazine Via destiné à faire la promotion de Via Rail, du gouvernement fédéral et de certaines autres sociétés d'État. Des factures transmises à l'entreprise Publicité Dézert, présidé par Éric Lafleur, le fils de Jean, se retrouvaient dans les livres de Satellite ainsi que d'autres dépenses non reliées au magazine Via, comme par exemple des billets de saison de hockey au coût de 9260$, un séjour de pêche à Grande-Cascapédia (un affluent de la Matapédia) les 5 et 6 juillet 2000 au coût de 4200$, un forfait Club de saumon de Moisie, les 1er et 2 juin de la même année ainsi qu'une canne Sage, et un moulinet Scientific Anglers System, au coût de 4800$. A tout cela s'ajoute un séjour de quatre jours, à 1050$ la journée, à Cascapédia.

«Avec qui étiez-vous», a demandé le commissaire Gomery relativement à l'expédition à Cascapédia. «Je ne me souviens pas», a répliqué M. Lafleur. M. Gomery a suggéré le nom de Charles Guité, le maître-d'oeuvre du programme des commandites mis en place au lendemain du référendum de 1995. «La facture a été acquittée. M. Guité peut très bien m'avoir fait un chèque», a suggéré le témoin. «La possibilité existe que c'était M. Guité, mais qu'il vous a remboursé?», a poursuivi M. Gomery. «Je n'exclus pas cette possibilité», a répliqué M. Lafleur qui a déjà indiqué que M. Guité était originaire de la Gaspésie et qu'il y passait ses vacances d'été.

Quant au voyage de pêche à Moisie, «je ne me souviens pas avec qui j'étais, mais ce n'était pas avec M. Guité», a spécifié le témoin.

La commission Gomery s'est aussi intéressé au cas de Pierre Davidson, un sous-traitant de Lafleur Communication Marketing, en matière de conception graphique. Le travail de maquettes facturé par M. Davidson à Lafleur Communication pour le magazine Via était de 87 000$. Pour ce travail, M. Lafleur a facturé le gouvernement pour 143 000$, réalisant ainsi très facilement un profit non négligeable. Mais il y a plus. M. Lafleur a facturé le gouvernement pour 295 heures de travail effectuées par M. Davidson, à 100$ l'heure, et cela même si M. Davidson n'était pas son employé, qu'il ne lui versait aucun salaire, qu'il ne faisait aucune retenue à la source. Dans son témoignage, M. Lafleur a tout de même soutenu que M. Davidson était un salarié.

Jean Lafleur pressait ses employés de contribuer

Le 8 mars, deux employés de Lafleur Communication Marketing ont levé le voile sur des aspects importants liés à la facturation ainsi que sur des contributions politiques qu'ils ont été pressés de faire. Ils ont dit que Jean Lafleur les a invités à verser une contribution de 1000$ à la caisse électorale du Parti libéral du Canada, en 1997. Ils auraient pu refuser mais ils ont jugé qu'il valait mieux s'en abstenir.

Pierre Michaud, gérant de projet, a dit avoir été remboursé de ce montant par M. Lafleur lui-même tandis que Pierre Davidson, directeur de création ne l'a pas été. Il a appris par la suite que son argent était allé dans la caisse de Yolande Thibeault, du comté fédéral de Saint-Lambert. Une dizaine d'employés de Lafleur ont fourni eux aussi des contributions de 1000$.

M. Davidson a juré n'avoir jamais facturé à Lafleur des heures de travail. Il a constaté avec surprise que M. Lafleur ne s'en privait pas et lui imputait dans divers contrats de nombreuses heures au taux horaire de 245$, la plupart du temps. Et petit détail intéressant, donné par M. Michaud, le prix coûtant d'une maquette se situait entre 275$ et 300$. Dans les factures de M. Lafleur, leur valeur était haussée à 3000$.

Par ailleurs, les dernières 30 minutes de l'interrogatoire de Jean Lafleur ont été marquées par un échange musclé entre le témoin et le représentant du gouvernement fédéral. M. Lafleur a perdu son calme olympien habituel quand Me Sylvain Lussier a tenté de savoir ce qui justifiait Lafleur Communication de réclamer des honoraires et autres frais de services, en sus de la commission d'agence de 12 pour cent. Comme M. Lafleur fournissait les mêmes réponses vagues habituelles, Me Lussier a insisté et adopté un ton particulièrement insistant, comme jamais. Les mains de M. Lafleur tremblaient quand il a répondu qu'il avait fourni les explications requises au client, le gouvernement du Canada, en vertu des règles du gouvernement du Canada.

«Je veux une réponse aujourd'hui. Je veux un exposé clair sur quand ça va me coûter plus cher que le 12 pour cent», a insisté Me Lussier. «Vous expérimentez le problème que nous avons tous vécu. J'ai demandé à plusieurs reprises au témoin de donner une réponse à la question. Assez souvent il ne l'a pas fait. Je vais tirer certaines conclusions d'une personne qui ne répond pas aux questions», a soutenu le commissaire Gomery.

Le Bloc exige le remboursement de «l'argent souillé»

Au lendemain de l'aveu de deux employés de l'agence Lafleur Communication qui déclaraient qu'on les avait obligés à contribuer à la caisse électorale du Parti libéral du Canada (PLC), les partis d'opposition n'ont pas manqué, mercredi, de rappeler au ministre Jean Lapierre sa promesse de rembourser ces contributions.

«La chaîne alimentaire du Parti libéral est maintenant dévoilée, a lancé le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, aux Communes. Puisque les libéraux prétendent tenir leurs promesses, est-ce que le ministre des Transports, qui en a pris l'engagement, va rembourser dès maintenant l'argent sale des commandites?»

Avant et pendant l'élection de juin dernier, le ministre Lapierre, également ministre responsable du Québec, s'était engagé à rembourser toutes les contributions «d'argent souillé», c'est-à-dire les sommes versées par les agences de publicités ou leurs employés dans les coffres libéraux et qui pouvaient être reliées aux commandites.

Mercredi, M. Lapierre a répété qu'il respecterait sa parole, mais il fait une précision. «Ce que ça prend, c'est le rapport du juge, a indiqué le ministre, à sa sortie des Communes. Dès que son rapport sera soumis, s'il fait un lien causal entre un don au parti et un contrat de commandites, nous rembourserons rubis sur l'ongle.»

De l'avis de M. Duceppe, les arguments des libéraux pour ne pas agir immédiatement sont faibles. Il fait valoir que le gouvernement de Paul Martin a déjà agi dans certains dossiers, sans attendre le rapport Gomery. «Ils disent qu'ils ont changé la façon de procédé quant à l'octroi de certains contrats, ils n'ont pas attendu la fin de la commission Gomery n'est-ce pas? Ils pourraient faire la même chose avec les contributions qui ont été faites», a fait observer M. Duceppe.

Petite fortune enfouie dans le sol

Le 11 mars, on apprend que quelque 1500 exemplaires d'une Encyclopédie du Canada payés 187 500$ par les contribuables canadiens, dans le cadre d'une commandite fédérale, ont été jetés à la poubelle par une agence de communication qui ne voulait sans doute plus s'occuper de ces colis devenus trop encombrants.

Selon des documents déposés hier à la commission Gomery, qui enquête sur le scandale des commandites, et selon le témoignage encore incomplet d'un ancien employé de Lafleur Communication Marketing, Stéphane Guertin, les encyclopédies -dont le projet avait été parrainé par le sénateur Serge Joyal et l'ancien chef de cabinet de Jean Chrétien, Jean Pelletier- ont en effet terminé leur existence au terrain d'enfouissement de Saint-Michel.

De la visibilité jusqu'en... Italie

Une enveloppe discrétionnaire d'environ un demi-million de dollars par année, tirée à même le programme fédéral de commandites, a servi à arroser en commandites, au cours de la seconde moitié des années 90, la région de la Mauricie, où se trouvait la circonscription de Jean Chrétien, la communauté italienne de Montréal et certains autres sympathisants du Parti libéral du Canada un peu partout ailleurs, a-t-on appris le 14 mars à la commission Gomery.

Cette enveloppe, identifiée sous la rubrique «événements imprévus», faisait partie du contrat signé par cette agence de communication avec le gouvernement fédéral, a témoigné hier Gilles-André Gosselin, ancien président de Gosselin & Associés. Le responsable des commandites à Travaux publics, Chuck Guité, indiquait régulièrement à l'agence Gosselin les événements qui devaient entrer dans cette catégorie. Le budget annuel consacré à ce que le procureur adjoint, Me Guy Cournoyer, a appelé hier «une marge de sécurité gardée au début de chaque année», était de 490 000$.

Gilles-André Gosselin a reconnu également que beaucoup de ces événements se déroulaient «dans la région de la Mauricie» et dans «la communauté italienne» de Montréal dont était issu le ministre des Travaux publics de l'époque, Alfonso Gagliano. «Lorsqu'on fait le bilan à la fin de l'année, a déclaré M. Gosselin au commissaire Gomery en parlant de ces événements, effectivement il y en a beaucoup» qui étaient destinées aux régions de Jean Chrétien et d'Alfonso Gagliano. Le témoin a même confié que c'était devenu la blague à la mode dans son bureau. Chaque fois que Gosselin & Associés savait qu'il allait recevoir un de ces contrats, a-t-il raconté, tout le monde disait à la personne chargée de les gérer, Me Alexandra Côté: «Tiens, encore un Italien qui s'en vient!»

L'un de ces projets «imprévus» consistait à inaugurer une «Place Canada» dans le village italien de San Martino in Pensilis, en Italie. Selon une lettre du 2 novembre 1998, mise en preuve hier à la commission et signée par un certain Giovanni Ariemma, le président de l'association des ressortissants de cette ville, une association qui a son siège social dans la circonscription d'Alfonso Gagliano à Saint-Léonard, le ministre Gagliano a assisté en personne à l'inauguration de la place en Italie. M. Ariemma l'en remercie et lui réclame du coup les 6850$ qui ont permis la réalisation de l'événement.

Le projet ne pouvait cependant être considéré comme une commandite servant à assurer «la visibilité du gouvernement fédéral» au Québec. En ce sens, il ne pouvait être financé par Travaux publics. Pour contourner cet obstacle juridique, un ancien employé de Chuck Guité passé chez Gosselin, Mario Parent, suggère dans un courriel interne de camoufler la facture en l'incorporant dans les factures du Bal des neiges à Ottawa. Puisque Piazza Canada signifie place du Canada en français et qu'il y a une place du Canada au Bal des neiges, affirme en substance Mario Parent, personne ne se rendra compte du subterfuge. «C'est un naturel», écrit-il. Gilles-André Gosselin a reconnu en riant hier que «Mario avait essayé de mettre ça sous la glace».

Gilles-André Gosselin pique une crise

Écrasé sous le poids de ses contradictions, le témoin Gilles-André Gosselin a craqué le 16 mars devant la Commission Gomery, qui a dû suspendre ses travaux avant l'heure prévue pour la pause du midi, témoignage qu'il a été incapable de poursuivre plus tard.

Face à un barrage serré de questions pendant près de deux heures de la part à la fois du commissaire Gomery et du procureur de la commission Guy Cournoyer, M. Gosselin s'est retrouvé coincé dans ses explications. Il a perdu son sang-froid et lancé: «Vous êtes en train de me faire dire des choses qui n'existent même pas. Vous arrivez à me faire dire n'importe quoi. Ok? Je suis fatigué, je suis exténué. J'ai de la misère à me concentrer».

Et après un silence de quelques secondes, il a ajouté: «Je me demande à quoi ça rime tout ça».

Quoi qu'il en soit, le commissaire Gomery ne s'est pas gêné pour talonner le témoin sur les 3673 heures facturées au cours de l'année 1997-1998 dans divers contrats de commandites (dont 1177 heures dans le dossier de Bluenose) en lui faisant remarquer que cela équivalait à 10 heures par jour sans aucune interruption, ni pour le jour de Noël, ni pour le Jour de l'An. «Comment avez-vous réussi à faire ça, lui a-t-il demandé.

«En travaillant fort», a plaidé M. Gosselin, président de Gosselin Communications. Visiblement incrédule, le commissaire Gomery a poursuivi sur sa lancée. «Vous avez facturé 3673 heures au gouvernement du Canada en plus de faire l'administration interne de votre propre commerce? Vous êtes un homme remarquablement travailleur. Vous devez manger, dormir et administré votre vie et votre commerce».

Visiblement ébranlé, M. Gosselin a alors été confronté à certaines annotations inscrites à son agenda, par exemple une rencontre le 8 avril avec l'organisatrice du Festival des Tulipes, d'Ottawa, dont il n'a eu le contrat que le 28 avril du bureau de Charles Guité. M. Gosselin s'est empêtré. Il a fait valoir que la dame en question avait dû apprendre qu'il avait depuis peu un bureau à Ottawa et qu'elle avait dû vouloir le rencontrer pour le saluer, tout simplement.

Pour son malheur, la commission disposait de trois factures transmises à Charles Guité par Gosselin Communications, le 28 avril, dont l'une relative à du travail exécuté pour le Festival des Tulipes. On y lisait que le montant de la commandite était de 150 000$, que la commission de Gosselin était de 18 000$, ses frais de gestion de 23 000$ pour 242 heures travaillées. La démonstration ne pouvait être plus claire qu'il avait su à l'avance qu'il avait le contrat. Quelques secondes plus tard, dépité, le témoin lançait au procureur Cournoyer: «Votre transcription (de l'agenda) est mal faite».

Peu après, il envisageait la possibilité qu'il ait en effet commencé le travail sur le Festival des Tulipes avant que son agence ne soit sélectionnée. Mais réalisant l'embrouillamini dans lequel il se plaçait, il s'est dit trop fatigué pour poursuivre l'exercice. Les Gosselin ont touché 1,4 million au cours des années suivantes pour leurs entreprises, en plus d'être compensés pour leurs installations et d'obtenir un dédommagement basé sur l'achalandage provenant de leur clientèle pour les quatre années subséquentes.

Camouflages de chèques en faveur du PLC

En 2000, l'agence de communication Groupaction a acheminé secrètement à l'aile québécoise du Parti libéral du Canada (PLC) 22 000$ ainsi que d'autres chèques d'une valeur de plus de 50 000$ à une liste d'organisateurs libéraux. Même le secrétaire d'État au sport amateur de l'époque, Denis Coderre, a reçu 2000$ de façon détournée du même propriétaire de Groupaction, Jean Brault, a révélé le 17 mars la Commission d'enquête sur le programme de commandites.

C'est la première fois que la commission Gomery rattache de façon aussi flagrante des acteurs du scandale des commandites au Parti libéral du Canada. Dans un témoignage-choc, l'actuel directeur de la station CHOI-FM, Bernard Thiboutot, à l'époque responsable de l'agence de communication Commando, à Québec, a en effet confirmé à la commission Gomery que des opérations de camouflage de chèques en faveur du PLC ont bel et bien été orchestrées par le président de Groupaction, Jean Brault, alors que le programme de commandites battait son plein.

L'agence Commando était l'antenne de Gosselin Communications stratégiques à Québec avant que cette dernière agence ne passe aux mains de Groupaction, en novembre 1999.

Ces injections secrètes de fonds au PLC ont été faites juste avant le déclenchement des élections générales du 27 novembre 2000, qui donnèrent un troisième mandat à Jean Chrétien.

L'utilisation de prête-noms pour financer les activités électorales du PLC semblait une méthode fort prisée par les agences de communication qui ont bénéficié grassement des contrats de commandites du gouvernement Chrétien. On a vu récemment que Jean Lafleur, de Lafleur Communication Marketing, avait également remboursé certains de ses employés à qui il avait demandé de verser des contributions financières au PLC.

Une autre facture de l'agence Commando à Groupaction, celle-là de 57 512,50$ et datée du 1er octobre 2000, indique «recherche et analyse». Selon Bernard Thiboutot, cette facture a servi aussi à camoufler des paiements que Jean Brault a faits à certaines personnes. «M. Brault m'a dit qu'il avait des gens à payer, une liste de gens à payer, qu'il voulait les faire payer par mon entreprise parce qu'il ne voulait pas avoir des liens d'entreprise avec ces gens-là, a raconté M. Thiboutot. C'est mon employeur... Alors il m'a envoyé un montant d'argent et il y avait une liste de gens qui devaient m'envoyer des factures, factures que j'ai acquittées.»

Des chèques mis en preuve hier démontrent en effet que l'agence Commando a versé deux fois 4000$ à un certain Louis Pichette, 11 556,25$ à Consultations Jacques Roy, 9202$ à Michel Monette, 6400$ à Guy Bisson et 9202$ à Franco Iacono. Me Guy Cournoyer, le procureur adjoint de la commission, a d'ailleurs souligné au commissaire Gomery que Franco Iacono, lobbyiste, avait travaillé dans le bureau du ministre des Travaux publics Alfonso Gagliano du 11 juin au 2 septembre 1997. Selon des renseignements recueillis par Radio-Canada et diffusés hier soir, les cinq personnes en question étaient des organisateurs libéraux de la campagne de 2000. Guy Bisson était organisateur libéral dans l'Outaouais et est toujours président de la Commission des aînés du PLC. Jacques Roy est organisateur libéral dans la région de Montréal alors que Michel Monette est organisateur libéral pour la région de Laval. Louis Pichette est aussi organisateur.

Me Cournoyer a fait remarquer hier que les paiements totalisaient seulement 44 000$. Bernard Thiboutot a alors précisé que, parmi les choses que Jean Brault lui avait demandé de faire avec les 57 000$, il avait eu à verser une contribution politique de 2000$ à l'ancien secrétaire d'État au sport amateur Denis Coderre. De plus, Bernard Thiboutot a confié au commissaire Gomery que, chaque fois que le Parti libéral du Canada organisait une activité politique dans la région de Québec, sa firme était sollicitée par des députés et divers organisateurs libéraux pour des contributions financières.

Une commandite sert de camouflage pour une loge

La commandite octroyée au club de hockey les Sénateurs d'Ottawa, pendant deux ans, aura servi à camoufler les coûts d'une loge située au centre Corel, d'Ottawa, où défilaient des ministres et leurs épouses, des amis et collègues de Charles Guité et d'autres. La loge était en fait payée par les contribuables canadiens, a-t-il été possible d'apprendre le 29 mars à la faveur des travaux de la Commission Gomery. Un contrat en bonne et due forme a été signé à cet effet entre le gouvernement du Canada et Gosselin Communications pour les années 1997 et 1998, puis avec Les Sénateurs.

La première année, la loge en question partagée avec deux autres locataires a coûté 33 000$ aux Canadiens, montant auquel il faut ajouter les frais pour le traiteur (27 000$) et les heures travaillées par un employé de Gosselin Communications pour s'occuper des invitations et de l'animation. Tous les billets pour les spectacles du Centre Dorel étaient envoyés directement à Charles Guité.

Pour la seconde année, Charles Guité s'est organisé pour avoir la totalité d'une loge, la plus prestigieuse de l'endroit, que les Sénateurs se gardaient habituellement pour recevoir leurs propres invités. La note cette année-là a été de 100 000$, uniquement pour la loge, a reconnu le témoin de Gilles-André Gosselin, de Gosselin Communications.

En 1998, c'est Mario Parent qui s'occupait des invitations. Une liste d'invités potentiels lui avait été remise par son employeur Gilles-André Gosselin qui la tenait, selon le témoignage de ce dernier, de Charles Guité. Au témoin Mario Parent qui avait adopté un ton plutôt débonnaire au sujet de la loge, le commissaire Gomery a bien fait sentir qu'il trouvait inconvenant que les Canadiens aient eu à assumer de tels coûts alors que le gouvernement du Canada n'obtenait en retour aucune visibilité particulière, le but déclaré du programme des commandites.

Avant de travailler chez Gosselin Communications, à compter de l'été 1998, Mario Parent travaillait avec Charles Guité au programme des commandites. Il a raconté s'être rendu une soixantaine de fois à la loge en question lors de joutes de hockey, de spectacles de chanteurs western ou de lutte. Il facturait à chaque fois quelque cinq heures de travail à Gosselin Communications qui refilait la note au gouvernement fédéral à un taux horaire de 150 $.

Le commissaire Gomery a demandé au témoin Parent s'il s'agissait d'un travail relié à une commandite. M. Parent a répliqué que «c'était du travail. Je devais discuter de mondanités avec les épouses des invités, je devais sourire», a fait valoir l'ex-fonctionnaire qui a bien dû admettre cependant que ses activités n'étaient aucunement reliées à un dossier précis de commandite. Pour sa part, M. Gosselin a avancé qu'il prêtait main-forte à l'occasion. Il s'assurait notamment auprès des invités s'ils voulaient que la mascotte passe un moment dans la loge.

«Où était l'intérêt de cette loge pour les contribuables canadiens?», s'est enquit le commissaire Gomery. «Je voyais à satisfaire les besoins de mon client (Charles Guité)», a avancé M. Gosselin. Parmi les ministres qui ont été reçus à la loge du Centre Dorel, on trouve Don Boudrias, Denis Coderre, Alfonso Gagliano. Des employés de Gosselin Communications y faisaient un tour à l'occasion.

La commission a réentendu la fonctionnaire Huguette Tremblay qui a travaillé avec Charles Guité au programme des commandites. Elle a qualifié d'inusité le fait qu'on demande à Gosselin Communications de retenir les services d'Alain Renaud de Groupaction pour la fourniture de chandails, par le biais de la société Art Tellier à laquelle M. Renaud était lié. Mme Tremblay a été informé par son patron Guité que M. Renaud était un lobbyiste du Parti libéral fédéral, a-t-elle dit.

La même fonctionnaire a raconté également que le ministre Gagliano avait demandé à M. Guité de faire en sorte que deux évènements qui lui tenaient à coeur, reliés à la communauté italienne, obtiennent une commandite mais en prenant bien soin de ne pas laisser de traces écrites à ce sujet. Mme Tremblay a vu que les événements en cause ne respectaient pas les règles d'attribution des commandites puisqu'ils avaient lieu à l'extérieur du Canada.

À un moment donné, l'avocate de M. Gagliano s'est opposée à ce que Mme Tremblay rapporte des propos de M. Guité relativement à ces deux évènements en faisant valoir que le témoin était «la personne la moins crédible à venir ici». Le commissaire Gomery a toutefois donné le feu vert au témoin.

L'opposition entend bien faire la lumière

Le supplice chinois de la goutte ne cessera pas pour les libéraux de Paul Martin avec l'ordonnance de non-publication rendue le 29 mars par le commissaire Gomery, ont mis en garde hier les partis de l'opposition aux Communes.

Le Bloc québécois, en accord avec les conservateurs et les néo-démocrates, a en effet fait adopter récemment aux comptes publics une motion qui oblige les principaux collaborateurs de Paul Martin à comparaître à compter du 11 avril afin de faire la lumière sur l'intervention du ministère des Finances, sous la houlette de Paul Martin, dans l'octroi de contrats à une firme proche des libéraux et plus particulièrement de son équipe.

Terry O'Leary, ancien chef de cabinet de M. Martin au ministère des Finances, David Herle, actuellement coprésident du Comité de la campagne libérale nationale, ainsi que Peter Daniel, ancien haut fonctionnaire au ministère des Finances, sont tous sur la liste des témoins qui devront comparaître à compter du 11 avril. M. Sauvageau a souligné hier que ces personnes- auxquelles pourra possiblement s'ajouter M. Martin lui-même- seront interrogées sur un aspect encore méconnu du fameux rapport de la vérificatrice générale de novembre 2003, celui de l'embauche par le gouvernement d'agences spécialisées dans la recherche et les sondages d'opinion publique.

Rappelons que certains documents dévoilés à la commission Gomery suggèrent que le ministère des Finances, alors dirigé par Paul Martin, serait intervenu directement dans certains dossiers, que son ministère aurait fait des pressions pour que l'agence amie Earnscliffe obtienne un contrat de recherche d'opinion publique sur les obligations d'épargne du Canada. Les documents révélaient notamment que l'agence Ekos, dont fait partie Earnscliffe, aurait bénéficié d'un traitement de faveur en obtenant la moitié d'un contrat, soit 300 000$, au lieu que ce contrat soit confié en totalité à une firme qui demandait moins. L'un des documents indiquait qu'on avait acquiescé à la demande «pour satisfaire les souhaits des Finances».

Malgré cette «nouvelle fenêtre» qui doit ainsi s'ouvrir sur les agissements des libéraux, le Bloc québécois a accepté avec une certaine réticence la décision prise hier par le commissaire Gomery. «Idéalement on aurait aimé avoir des séances publiques, a commenté Benoît Sauvageau. C'était la position première et idéale du Bloc québécois. Cependant nous trouvons, dans la situation actuelle, que le juge Gomery a pris la moins pire des décisions.» Le député de Repentigny affirme que la décision du juge empêchera aussi bien la commission que les processus judiciaires en cours de dérailler sur la foi de simples vices de procédure. M. Sauvageau a parlé «d'une prudence nécessaire» de la part du juge Gomery, constatant qu'en fait ce dernier n'avait pas décidé en faveur d'une ordonnance de non-publication de publication mais plutôt en faveur d'un «report de publication», ce qui est un moindre mal.

Au bureau du premier ministre, on s'est refusé à commenter la décision du commissaire Gomery.

Brault dévoile ses généreux dons au PLC

Le 7 avril, on apprend que l'alliance entre Jean Brault et les dirigeants du Parti libéral du Canada reposait sur cette règle: si tu veux recevoir des contrats, donne sans poser de questions. Et il a donné. Plus d'un million de dollars en argent comptant et par des voies détournées et 166 000$ en contributions directes au PLC. Et il a reçu. Des contrats de commandites d'une valeur totale de 60 millions et des contrats de publicité d'une valeur totale de 112 millions, cela pour la période allant de 1996 à 2002.

Le témoignage de l'ancien président de Groupaction devant la commission d'enquête sur le scandale des commandites, qui aura duré six jours, peut finalement être dévoilé à la suite de la décision du juge Gomery de lever partiellement l'interdit de publication. Il contient plusieurs révélations dévastatrices sur la gestion de ce programme controversé. M. Gomery a ordonné de ne pas diffuser l'information contenue dans six passages et deux documents, soit ceux qui seraient susceptibles de mettre en péril le droit de MM. Brault et Guité à avoir un procès équitable. Leur procès criminel conjoint, pour complot et fraude d'une valeur de 1,9 million, doit s'amorcer le 6 juin.

M. Brault est aussi le premier à lever le voile sur les liens des agences avec le PLC et, surtout, à affirmer qu'il y avait un lien direct entre les dons au Parti libéral et les contrats obtenus. Au cours de son témoignage, M. Brault a abondamment parlé des pressions incessantes exercées sur lui par des permanents du Parti libéral du Canada et des militants pour qu'il ouvre ses goussets. «La recette miracle pour être chanceux était de porter une bonne écoute aux demandes que le Parti pouvait nous faire», a-t-il avancé. «C'est clair que n'eut été des investissements sous toutes ses formes qu'on a faits au Parti libéral de Canada, section québécoise, ou près de celui-ci, n'eut été de ça, malgré nos compétences, la portion de la tarte (pour Groupaction) aurait été petite».

Comme on pouvait s'y attendre, il a été question de Charles Guité au cours des derniers jours, le fonctionnaire responsable des commandites, mais l'interdiction de publication porte notamment sur les téléphones et rencontres entre M. Guité et Brault.

Jean Brault s'est bien occupé des libéraux fédéraux, même s'il affirme maintenant qu'il l'a fait à son corps défendant. Par exemple, il a facilité la vie de proches du ministre des Travaux publics, Alfonso Gagliano, notamment sa fille Imma et son fils Vincent. À Imma, il affirme avoir trouvé un emploi chez son client Naya. À Vincent, il aurait facilité l'obtention de contrats de graphisme chez Groupaction, à la demande a-t-il dit, de Benoît Corbeil, de la direction québécoise du Parti libéral du Canada. Ainsi, Lithographie Design a reçu des contrats en 1997 pour un maigre 1400$ mais, en 1998, les contrats ont grimpé à 54 000$, puis à 80 000$ en 1999, un maximum. D'autres contrats de moindre importance ont suivi pour les deux années subséquentes.

Même le Parti libéral du Québec, dirigé par Jean Charest, a eu droit à ses largesses, de 50 000$. La somme a été remise à Groupe Everest, réputé très près de M. Charest, sous le couvert d'un paiement par chèque de services professionnels.

Voici les points saillants du témoignage du président de Groupaction, Jean Brault, devant la commission Gomery.

- Jean Brault a payé une facture de 22 000$ pour une vidéo sur le Parti libéral du Canada produite par Productions Caméo.

- Jean Brault a versé 485 000$ à Pluridesign, une entreprise de Jacques Corriveau, grand manitou du PLC, ami de longue date de Jean Chrétien et qui avait embauché son fils Michel à la suite de ses démêlés avec la justice.

- Gaby Chrétien, le frère de Jean Chrétien a rédigé une fausse facture (pour honoraires professionnels) à l'intention de Jean Brault qui lui a fait un chèque de 4000$ pour une contribution politique en faveur d'un candidat libéral de la rive sud de Montréal.

- Jean Brault a versé 1,2 pour cent sur toutes les commissions d'agences qu'il touchait dans les dossiers de commandites d'Expour et Polygone.

- Jean Brault avait noté que Jean Carle, du bureau du premier ministre Chrétien collectionnait les chapeaux. Il a demandé à Normand Legault de faire signer à Jacques Villeneuve une cagoule avec une dédicace.

- Jacques Corriveau était pratiquement toujours présent dans les rencontres qui précédaient ou suivaient l'obtention de contrats de commandites par Expour et Polygone qui en a reçu pour 42 millions.

- La date du premier contrat de commandites attribué à Groupaction coïncide avec celle du premier chèque versé par Groupaction à Alain Renaud, un lobbyiste et fervent militant libéral.

- Alain Renaud recevait de Jean Brault un boni basé sur tous les contrats provenant de ministères et sociétés de la couronne du gouvernement du Canada.

- À la demande de la direction québécoise du PLC, Groupaction a embauché Serge Gosselin qui n'a fourni aucun service à son entreprise. Il a écrit plutôt écrit un livre sur Alfonso Gagliano, publié en juin 1997.

- Maria Lyne Chrétien, une nièce de Jean Chrétien, a travaillé chez Groupaction pendant huit mois, grâce à l'intervention de Jacques Corriveau.

- Vincent Gagliano, le fils du ministre, a obtenu d'importants contrats de Groupaction pour des travaux de graphisme.

- Jacques Olivier, maire de Longueuil et ancien député libéral fédéral a servi ce conseil à Jean Brault «Colle-toi sur Corriveau, ça va t'ouvrir des portes».

- La première participation de Jean Brault au Parti libéral du Canada a été de payer un salaire à Daniel-Yves Durand, de 500$ par semaine, pour lui permettre de travailler pour le parti. L'arrangement a duré deux mois.

- Pendant un an John Welch, chef de cabinet de la ministre Liza Frulla, a fait du travail pour le parti libéral alors qu'il était payé par Groupaction. Il a reçu 97 000$.

- Dix-sept employés de Groupaction ont été invités à verser des contributions au Parti Québécois pour un montant de 50 000$, et cela à deux ou trois reprises. Jean Brault les a remboursés.

- Roger Desjeans, d'allégeance libérale, et qui travaillait au sein de la firme Harel Drouin a été mis à contribution pour camoufler une contribution politique au PLC.

- Alain Renaud, un collecteur de fonds pour le PLC et qui a travaillé comme lobbyiste pour Groupaction a gagné plus de 1,1 million.

- À la demande de la direction du PLC, Jean Brault a remis une enveloppe de 5000$ à un de ses dirigeants, Joe Morselli en faveur de Burley Wiseman, un collecteur de fonds auprès de la communauté juive de la région de Montréal. Il s'est éclipsé aux toilettes pour ne pas assister à la remise à Wiseman.

Un organisateur de Gagliano au service de Charest

Le 6 avril, La Presse a appris que le principal organisateur de l'ex-ministre Alfonso Gagliano, Joe Morselli, homme d'affaires de Saint-Léonard dont le nom a été mentionné le 1er mars dernier pour son rôle dans le financement du Parti libéral du Canada, devant la commission Gomery, a organisé une partie du financement de la campagne électorale du chef libéral Jean Charest, en 1998.

«M. Morselli et moi étions membres du comité de financement du PLQ à la campagne de 1998», a confirmé à La Presse Alain Renaud, ancien employé «contractuel» de Groupaction.

Selon l'agenda interne préparé pour la campagne de Jean Charest, document également obtenu par La Presse, au moins deux événements de financement du Parti libéral du Québec (PLQ) ont été préparés par M. Morselli à la fin octobre 1998. Le 20 octobre, à 20 h, les conseillers de Jean Charest avaient prévu un «souper Morselli». Et le 26 octobre, à midi, l'agenda de campagne du chef libéral prévoyait un «lunch financement Morselli», événement qui a eu lieu à Anjou, où chaque convive devait contribuer pour 500$ à la caisse du PLQ, a confirmé hier un autre important organisateur des troupes de Jean Charest. L'événement a permis aux libéraux d'amasser environ 60 000$, a-t-il précisé. Les deux événements étaient conformes à la loi. Or, le nom de Joe Morselli est bien connu de ceux qui suivent la commission Gomery sur le scandale des commandites. Dans son témoignage public, à Montréal, le 1er mars, le publicitaire Jean Lafleur a fait spécifiquement référence à l'homme de confiance du ministre Gagliano. M. Morselli, a-t-il dit, était celui qui était chargé de solliciter les publicitaires comme M. Lafleur pour contribuer à la caisse électorale des libéraux fédéraux peu avant les élections générales de 1997.

Selon des informations obtenues par La Presse, le premier ministre Jean Charest, inquiet des possibles répercussions de la commission Gomery sur son propre parti, a tenu une réunion avec le président du PLQ, Marc-André Blanchard. Cette réunion a eu lieu vendredi dernier, deux jours après le début du témoignage de Jean Brault. Au cabinet de Jean Charest, on renvoyait toutes les questions à ce sujet à la permanence du PLQ. M. Morselli, a-t-on expliqué au parti, était connu depuis longtemps des libéraux provinciaux, essentiellement comme l'ami et l'organisateur de l'ancien député de Viger, Cosmo Maciocia, passé depuis sur la scène municipale. Mais des apparatchiks libéraux de l'ère Bourassa insistaient toutefois: sous MM. Bourassa et Daniel Johnson, jamais M. Morselli n'a eu un rôle plus important que celui d'un organisateur de circonscription. À ce titre, il n'aurait jamais pu apparaître à l'agenda électoral de MM. Bourassa ou Johnson.

À partir de l'arrivée de M. Charest à la tête du PLQ, les contributions de M. Morselli à la caisse du PLQ ont subitement augmenté, passant de quelques centaines de dollars en 1997 à plus de 2000$ en 1998, 3000$ l'année suivante, une générosité qui ne s'est pas démentie depuis. Homme d'affaires de Saint-Léonard, Giuseppe Morselli a été responsable du comité des finances de l'aile québécoise du Parti libéral du Canada. Il a également agi en tant qu'organisateur de l'ancien ministre Alfonso Gagliano. Il est propriétaire du buffet Trio et de concessions de cafétérias dans différents établissements publics du Québec.

Le PQ remboursera les contributions de Groupaction

Dans l'espoir de se dissocier du scandale des commandites, le Parti québécois a annoncé, le 8 avril, qu'il remboursera jusqu'au dernier sou les contributions obtenues par des employés de Groupaction. «Nous ne voulons rien savoir, ni de près ni de loin, d'avoir des contacts avec Groupaction», a dit le chef péquiste, Bernard Landry, lors d'un point de presse.

Dans une lettre envoyée au juge John Gomery qui préside la commission d'enquête sur le programme des commandites fédérales, le PQ demande la liste des actionnaires et des employés ayant oeuvré chez Groupaction depuis 1994, afin de retourner les dons. «Nous n'allons pas garder cet argent, a insisté M. Landry. Nous allons retourner les montants jusqu'au dernier cent.»

«Je présume que M. Brault a pensé qu'à Québec, c'était comme à Ottawa, et qu'on pouvait acheter des contrats», a commenté M. Landry, pour qui la capitale du Canada est devenue «une des capitales occidentales de la corruption.»

Dans toute cette affaire, le Parti québécois a été victime de sa bonne foi, a-t-il continué. «Si vous m'envoyez un chèque, et que vous signez votre nom, je ne présumerai pas que votre employeur vous rembourse par la suite», a dit M. Landry, admettant du même coup que «l'esprit et la lettre» de la loi québécoise sur le financement des partis politiques avaient été «vraisemblablement» violés. La loi québécoise interdit en effet les dons d'entreprises et n'autorise que les contributions individuelles ne dépassant pas 3000 $.

L'argent récupéré par le PQ sera placé dans un compte en fidéicommis jusqu'à ce qu'une décision soit prise son usage, a expliqué le chef péquiste. Pour bien marquer son indignation, M. Landry s'en est pris de façon particulièrement virulente à Jean Chrétien et aux libéraux fédéraux, qui ont présidé à ce «scandale immonde.»

«Cela fait 40 ans que je fais de la politique. J'ai tout sacrifié à ce métier. Et là, ces libéraux fédéralistes québécois viennent salir la vie publique. Qu'est-ce que je dis à mon fils ou à ma fille qui me demandent si on doit aller en politique. Pour passer pour des pas bons? C'est épouvantable», a-t-il pesté.

M. Landry s'est par ailleurs porté à la défense de Ginette Boivin et Michel Hébert, respectivement responsable du financement national du PQ et agent officiel, qui auraient, selon des témoignages entendus à la commission, demandé à Jean Brault de verser une contribution à la caisse du parti. «J'ai pleinement confiance en eux. Ils n'ont jamais demandé à rencontrer M. Brault. C'est Brault qui a demandé à les rencontrer. Ils ne lui ont rien demandé, rien promis, d'ailleurs, il (Jean Brault) n'a jamais rien eu», a-t-il tranché.

Au tour d'Alain Renaud de lancer des bombes

Le 8 avril, le témoin Alain Renaud, lobbyiste pour Groupaction auprès du Parti libéral du Canada, section Québec, a pris la relève de Jean Brault et s'est mis à lancer de multiples petites bombes, à forte odeur politique. Il a ainsi parlé des tractations ayant permis à l'entreprise de M. Brault de se mériter de plantureux contrats fédéraux, en publicité comme en commandites.

Pour décrocher des contrats pour Groupaction, Alain Renaud qui se plaît à se définir comme «un ouvreur de portes», avait identifié trois portes prometteuses: celle de Jacques Corriveau, un libéral notoire et ami de longue date de Jean Chrétien; celle de Charles Guité, le fonctionnaire fédéral chargé du programme des commandites; les dirigeants du Parti libéral du Canada, section Québec. Cette dernière porte était la moins prometteuse.

M. Brault aurait confié à Alain Renaud sa méthode: en payant le salaire pendant huit mois de Daniel-Yves Durand qui écrivait les textes de M. Chrétien, M. Brault s'attendait à décrocher des contrats. Alain Renaud est passé à l'action à son tour. Après des démarches infructueuses d'une dizaine de mois, M. Renaud a reçu le conseil de rencontrer Charles Guité pour faire débloquer les choses, puis Jacques Corriveau. ll a également contacté Gaby Chrétien, le frère du premier ministre. Les affaires se sont mises à débouler.

Le commissaire Gomery a demandé au témoin s'il n'avait pas senti alors que «les dés étaient pipés», que «les comités de sélection étaient bidons». «Ça dépend qui on connaît», a répliqué M. Renaud en soutenant qu'ainsi va la vie. M. Renaud a vite compris que l'intervention de M. Corriveau semblait faire des miracles. «Avec Corriveau c'était dans le sac?», a lancé M. Gomery. «Oui», a répondu le témoin.

M. Renaud jugeait l'efficacité des dirigeants du PLC Québec très inégale et plutôt molle pour ce qui est de faire débloquer des contrats. À ses yeux Michel Béliveau constituait une exception. Il était l'organisateur libéral dans la circonscription de Jean Chrétien.

M. Renaud a en outre raconté que son patron Jean Brault avait un jour nolisé un avion pour se rendre à Ottawa y voir Jean-Marc Bard, du bureau du ministre Alfonso Gagliano. Le président de Groupaction venait de réaliser qu'il n'avait décroché que très peu ou pas de contrats. M. Bard l'a informé qu'il s'agissait d'une erreur informatique et la correction a été faite. À cette occasion, M. Brault aurait confié à M. Renaud qu'au moment où Charles Guité était en poste il disposait bon an mal an d'une marge de manoeuvre de 1,5 million à 2 millions sur différents contrats. Une façon de dire qu'il pouvait ajouter des frais fictifs. Au besoin, M. Béliveau téléphonait directement à Jean Pelletier du bureau de M. Chrétien, a relaté le témoin voulant montrer que M. Béliveau avait le bras long.

Corriveau minimise ses relations avec le PLC

Jacques Corriveau est «politiquement inactif depuis 10 ans» et n'a jamais parlé commandite avec celui qu'on a décrit comme son ami intime, l'ex-premier ministre Jean Chrétien.

Entamant le 14 avril un témoignage fort attendu, M. Corriveau a tout au plus concédé que M. Chrétien est un «bon ami» qu'il voit une ou deux fois par année. Il affirme en outre avoir participé à quelques activités de financement du Parti libéral du Canada à la fin des années 90.

Jacques Corriveau

D'entrée de jeu, l'homme de 72 ans a ainsi contredit plusieurs témoins entendus ces dernières semaines à la commission Gomery. On est loin, à en croire le témoignage d'hier de M. Corriveau, d'être en présence de celui qui a poussé Jean Chrétien à mettre sur pied le programme de commandites en 1996, comme l'a affirmé un vice-président de Groupaction. On est encore plus loin de l'image dépeinte il y a deux semaines par Jean Brault, qui avait décrit M. Corriveau comme un des responsables qui avaient multiplié les demandes de contributions secrètes au PLC.

Confronté par Bernard Roy, avocat de la commission, Jacques Corriveau a cependant dû admettre qu'il avait eu 21 contacts téléphoniques avec le bureau de Jean Chrétien entre 1996 et 2003. Il n'a jamais été question de commandite, affirme-t-il. Il a avancé qu'il s'agissait peut-être de discussions au sujet du fils adoptif des Chrétien, Michel, qu'il avait embauché pendant deux ans. «Je portais beaucoup d'attention à son fils, les parents souhaitaient que je les informe de leur fils.» Improbable, a rétorqué Me Roy: Michel Chrétien n'était plus un employé de Jacques Corriveau depuis 1991.

Interrogé sur ses relations qu'on dit «intimes» avec M. Chrétien, il s'est lancé dans une explication sémantique. «Intime implique réellement de l'intimité, et ce n'est pas le cas. Alors il y a une différence entre un ami et un ami qui est un intime. Un ami intime, vous le voyez au moins 10 ou 15 fois par année, pas deux fois par année.»

La commission a exhibé un document conçu dans le cadre d'un vaste projet de consultation mis sur pied par le Bureau d'information du Canada (BIC) et la firme BCP. On y décrit M. Corriveau comme le «conseiller informel de Jean Chrétien». «C'était leur perception, et non la mienne, ni celle de M. Chrétien à mon égard», a laissé tomber le témoin. De 1996 à 2003, la firme de Jacques Corriveau, Pluri-Design, a perçu plus de 10 millions en honoraires, dont près des trois quarts sont liés à des contrats de commandites, selon des chiffres rendus publics à la commission Gomery hier. L'entreprise a en plus été responsable de la conception visuelle des pancartes électorales du PLC lors de deux élections générales, en 1993 et 2000.

Cette époque, a reconnu M. Corriveau en souriant, «disons que c'est une bonne période. J'ai connu de moins bonnes périodes.» «Sous le régime des conservateurs, c'était la grande misère, n'est-ce pas?» a demandé Me Roy d'un ton badin. «Quand la bonne fortune vous sourit, pourquoi s'y refuser?» a répondu du tac au tac le septuagénaire.

Pressé peu après d'expliquer les circonstances d'une réunion qui s'est tenue en 1996 et à laquelle il aurait assisté avec Jean Brault, Charles Guité, Alain Renaud et Serge Gosselin, M. Corriveau a eu un trou de mémoire. Il en a profité pour prévenir la commission que ce ne serait pas le dernier. «À cause des médicaments que je prends, j'ai certains problèmes de mémoire et de concentration. J'ai subi une opération chirurgicale le 22 novembre qui a nécessité plus de quatre heures et demie d'anesthésie. Vous pouvez en douter, mais il y a des choses que j'aimerais bien me remémorer. Mais c'est impossible.»

Commandites en plein air

Le gouvernement du Canada a dépensé 13,7 millions en commandites de capsules radio qui souhaitaient d'«agréables heures de pêche» aux Québécois, les incitaient à «bien se nourrir», les invitaient à la prudence ou leur souhaitaient tout simplement une bonne journée.

Ces quelques extraits des fameuses capsules conçues par Polygone et diffusées par 80 stations radiophoniques de 1997 à 2002 ont déridé l'assistance, le 14 avril, à la commission Gomery. L'avocat représentant le procureur du Canada, Sylvain Lussier, tentait ainsi de démontrer que le gouvernement fédéral n'en avait guère eu pour son argent dans ce contrat passé avec Polygone, propriété de l'homme d'affaires Luc Lemay, dont le témoignage s'est terminé hier après-midi.

M. Lemay fait l'objet d'une poursuite civile d'Ottawa, qui veut récupérer quelque 30 des 36 millions versés en commandites à ses entreprises entre 1997 et 2002. Pendant cinq années, Ottawa a ainsi commandité ces messages radio de 40 secondes vantant les mérites de «l'effet diurétique» de l'oignon ou «lénitif» de l'ail, rappelant qu'un secouriste doit avoir les mains propres ou qu'il faut changer son fil à pêche au début de chaque saison. La seule allusion au commanditaire consistait en une signature de quelques secondes à la fin du message, signalant par exemple que le gouvernement du Canada est «soucieux de la santé des gens».

La signature d'une capsule expliquant comment calculer la productivité en poissons d'un lac a particulièrement amusé la commission: «Le gouvernement du Canada encourage le prélèvement responsable des poissons sportifs.»

Note de 355 000$ pour les contribuables

L'avocat d'Alfonso Gagliano a reçu plus de 355 000$ du Trésor public l'an dernier pour représenter l'ex-ministre des Travaux publics dans le cadre du scandale des commandites, révèlent des documents obtenus par la chaîne CPAC en vertu de la loi d'accès à l'information. Cette somme comprend les honoraires et les frais de déplacement, d'hôtel et de repas de Me Pierre Fournier, qui représente M. Gagliano devant la commission Gomery et le comité des comptes publics à Ottawa. Les frais juridiques des fonctionnaires sont assumés en totalité par le gouvernement, comme le veut la politique sur l'indemnisation des fonctionnaires de l'État et sur la prestation de services juridiques.

La politique sur l'indemnisation des fonctionnaires de l'État en vigueur à Ottawa stipule que le gouvernement doit acquitter les frais juridiques des fonctionnaires «dans la mesure où (ceux-ci) ont agi honnêtement et sans malice dans le cadre de leurs fonctions ou de leur emploi et qu'ils ont raisonnablement satisfait aux attentes du Ministère».

Selon le National Post, des documents émanant du gouvernement fédéral indiquent que les frais juridiques assumés par Ottawa dans le cadre de la commission Gomery s'élèveront à plus de 10 millions de dollars, dont la moitié environ servira à payer les avocats des anciens fonctionnaires chargés de superviser le programme de commandites.

Corriveau nie farouchement

L'organisateur libéral Jacques Corriveau a admis avoir empoché près de 8 millions en commissions sur des commandites, en agissant illégalement à titre de lobbyiste et en rédigeant de fausses factures qui cachaient la vraie nature de ses services. Mais le 15 avril, il a farouchement nié, lors de son témoignage devant la commission Gomery, avoir contribué à financer illégalement le Parti libéral du Canada. Ses seules activités au parti, a-t-il soutenu, étaient des «événements ponctuels» de financement pour lesquels il vendait des billets.

Il a cependant convenu qu'il disposait au PLC de solides relations qui l'ont servi dans son démarchage pour les firmes de communication Polygone et Groupaction. De 1996 à 2002, sans s'enregistrer comme lobbyiste, comme la loi l'oblige, M. Corriveau a rabattu plus de 36 millions en contrats de commandite vers la firme Polygone, percevant au passage une commission de 17,5 %. À partir de 1998, il a également eu droit à une ristourne supplémentaire de Groupaction, par qui transitaient les commandites, qui lui a rapporté 430 000$.

Son lobbyisme consistait essentiellement à appeler ou à rencontrer Charles Guité, le haut fonctionnaire responsable du programme des commandites, ou Pierre Tremblay, son successeur à partir de 1999.

Jacques Corriveau a soumis une série de factures à Groupaction décrivant des services professionnels, comme de la rédaction ou de la correction. Ces services, a-t-il reconnu, n'ont jamais été rendus: il s'agissait simplement de camoufler la commission de 1,2%. C'est le président de Groupaction, Jean Brault, qui lui aurait demandé d'agir ainsi et qui aurait précisé les sommes à facturer. Pourquoi ce maquillage? M. Brault, à l'époque, avait une entente avec un autre lobbyiste, Alain Renaud, et ne souhaitait pas que ce dernier apprenne que Jacques Corriveau jouait dans ses plates-bandes.

Cette version contredit complètement le témoignage de Jean Brault, qui a affirmé deux semaines plus tôt que ces sommes étaient exigées par Jacques Corriveau à titre de contribution au Parti libéral du Canada.

De fait, Jacques Corriveau a contredit la plupart des témoignages le concernant depuis quelques semaines. Il a minimisé ses liens avec le PLC et Jean Chrétien, lui qu'on a souvent décrit comme un organisateur de premier plan et un ami intime de l'ex-premier ministre. M. Corriveau a soutenu n'avoir jamais demandé à Jean Brault d'embaucher des organisateurs libéraux, ni exigé de généreuses contributions à la caisse du parti. Il a tout au plus reconnu avoir demandé à M. Brault de «prendre à sa charge» la nièce de Jean Chrétien, Maria-Lyne Chrétien.

Jean Lapierre évoque la suspension de la commission Gomery

Le lieutenant politique de Paul Martin au Québec, Jean Lapierre, a évoqué la possibilité que les audiences de la commission Gomery soient suspendues si des élections ont lieu en juin. Il a fait planer cette menace le 16 avril, en marge d'une rencontre de la commission électorale de l'aile québécoise du Parti libéral du Canada (PLC), à Montréal. Ainsi, si la vérité n'était pas faite sur le scandale des commandites, la faute en incomberait aux conservateurs. «Est-ce que vous pensez que la Commission peut continuer dans un contexte électoral?

Questionné par La Presse, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a plus tard qualifié cette déclaration de «farfelue». «Que Jean Lapierre cesse ses déclarations plus farfelues les unes que les autres et qu'il fasse donc son travail de ministre des Transports correctement, par exemple en réglant la question de Bombardier.»

Les politiciens exerceraient des pressions indues s'ils réclamaient la suspension de la commission sur le scandale des commandites pendant une campagne électorale, a ajouté Gilles Duceppe. «Le politique n'a pas à dire quoi faire au judiciaire, on n'a pas à dicter nos vues au juge Gomery, a-t-il dit. Moi, j'ai pleine confiance en lui et il a certainement un meilleur jugement que les politiciens sur les travaux de la commission.»

Selon M. Duceppe, en évoquant la possibilité de suspendre les travaux, M. Lapierre a tout de même exercé des pressions indues en plus de faire preuve «d'une certaine forme de mépris envers l'appareil judiciaire».

Cette semaine, à la Chambre des communes, le Bloc a renoncé à déposer une motion de défiance pour renverser le gouvernement, faute d'appui de la part du Parti conservateur et du Nouveau Parti démocratique. Jeudi, la formation souverainiste a cependant obtenu l'appui des deux autres partis d'opposition en déposant une motion pour réclamer des libéraux qu'ils versent dans un compte en fiducie toute somme qu'ils pourraient avoir reçue par l'intermédiaire d'un système de financement occulte.

Des liens avec le PLC, Martin et Coderre

Après avoir travaillé brièvement à la course au leadership de Paul Martin en 1990, l'ex-dirigeant de Groupe Everest, Claude Boulay, a également donné un coup de pouce aux libéraux lors de la campagne électorale de 1997.

M. Boulay, qui témoigne les 18 et 19 avril devant la commission Gomery, est né dans les années 50 à Montréal dans le quartier Saint-Henri. Un an après avoir terminé ses études en administration à l'Université de Sherbrooke, il fonde en 1976 son premier bureau de création et de consultation. Groupe Everest voit le jour au début des années 80. C'est en 1990 que M. Boulay prête main-forte à Paul Martin au début de sa campagne à la direction du parti, mais en raison d'un différend avec les organisateurs, sa participation a été de courte durée.

Malgré cette collaboration, le premier ministre Martin a toujours affirmé que Claude Boulay et sa femme Diane Deslauriers- qui aurait pris part à plusieurs collectes de fonds pour le parti- étaient de simples connaissances. Pourtant, il a adressé des lettres au ton intimiste à M. Boulay. Il y a même ajouté des notes manuscrites. Cet échange de lettres, déposées devant la commission Gomery, révèle entre autres que M. Martin, alors ministre des Finances, a été convié au 50e anniversaire de l'ex-patron de Groupe Everest.

Lors de son témoignage devant la commission Gomery la semaine dernière, le lobbyiste Alain Renaud a affirmé avoir aperçu Paul Martin mangeant avec M. Boulay et sa femme à l'occasion du congrès des libéraux en 1996. Selon M. Renaud, ils discutaient d'un contrat que souhaitait obtenir Groupe Everest. Une allégation qu'a catégoriquement niée Paul Martin la semaine dernière. Celui-ci assure n'avoir jamais pris part à des repas pour intervenir dans l'octroi de contrats.

L'ancien patron de Groupe Everest entretiendrait une amitié avec le député libéral de Bourassa, Denis Coderre. M. Coderre a séjourné à son condo de l'Île-des-Soeurs pendant six semaines, peu de temps après son élection en 1997. L'ancien ministre apparaît également dans une vidéo tournée au printemps 2001, à l'occasion de l'anniversaire de Claude Boulay célébrée le 30 juin 2001 à sa maison du lac Memphrémagog. «Mon cher Claude, dit-il, au nom du gouvernement du Canada, j'aimerais te souhaiter un joyeux 50e anniversaire.»

Éclaboussée par le rapport accablant de la vérificatrice générale déposé aux Communes en février 2004, la firme dirigée par M. Boulay a obtenu des millions de dollars en commandites. Elle a été vendue en 2003 à Draft, entreprise de Chicago. Claude Boulay habite aujourd'hui aux États-Unis.

Martin accusé d'irrégularités

Le 18 avril, le premier ministre Paul Martin a été accusé par un libéral notoire, Warren Kinsella, de n'avoir pas respecté au cours des années 90 les règles d'attribution de contrats de recherche en opinion publique alors qu'il était titulaire des Finances.

Dans une lettre du 25 novembre 1994, déposée hier au comité des comptes publics des Communes, M. Kinsella, adjoint exécutif de l'ancien ministre des Travaux publics David Dingwall, mettait en garde le chef de cabinet de M. Martin, Terrie O'Leary, de sérieux manquements au Ministère dans le processus d'attribution de ces contrats. «Terrie, cela n'augure rien de bon, et vous le savez, écrivait M. Kinsella dans sa lettre. Le concours était entaché d'irrégularités, les paiements sont excessifs, le travail est probablement superflu et l'on peut s'attendre à ce que le milieu de la recherche dénonce les liens politiques.»

M. Kinsella faisait allusion à un certain nombre de contrats qui ont été pour la plupart octroyés sans appel d'offres à Ekos Research Associates, firme associée à Earnscliffe Strategy Group, entreprise dont les dirigeants sont proches de Paul Martin. David Herle, coprésident libéral de la dernière et de la prochaine campagne électorale et conjoint de Mme O'Leary, était l'un des dirigeants de Earnscliffe. Ces contrats auraient bénéficié financièrement à Earnscliffe, a reconnu M. Herle, hier.

Le comité des comptes publics des Communes, contrôlé par l'opposition majoritaire, s'est donné pour tâche d'examiner les contrats octroyés à Earnscliffe dans le domaine de la recherche sur l'opinion publique. Ce genre de contrats avait été examiné par la vérificatrice générale, Sheila Fraser, au chapitre cinq de son rapport sur le programme de commandites. Étant donné que la commission Gomery n'a pas pour mandat d'enquêter sur ce chapitre, le comité a décidé de combler ce vide en mettant lui-même son nez dans cette affaire.

M. Kinsella prévenait dans sa lettre de 1994 à Mme O'Leary que les concours d'attribution de contrats au ministère des Finances, sous Paul Martin, étaient «entachés d'irrégularités, (de) paiements excessifs, (de) travail superflu et (de) liens politiques.»

Le député bloquiste Benoît Sauvageau a alors demandé à M. Kinsella s'il était d'accord avec les déclarations de Paul Martin aux Communes qui affirme avoir toujours respecté aux Finances les règles d'attribution des contrats et qu'il se tenait à l'écart du processus. «À mon avis, a répondu Warren Kinsella, M. Martin était au courant de la situation des problèmes des contrats.»

Warren Kinsella a de plus créé tout un émoi au comité lorsqu'il a révélé que quelques minutes avant de se présenter au parlement, hier, il a reçu un appel téléphonique d'intimidation l'avertissant que son témoignage allait être contredit par son ancien ministre David Dingwall. John Williams a avoué qu'il a été surpris par ces menaces. M. Kinsella lui a fourni en secret le nom de son interlocuteur. M. Williams a déclaré que le comité allait examiner la question. «Cela ressemble à un outrage au Parlement, a-t-il dit, et ce ne peut être toléré, peu importe les circonstances.» M. Kinsella a également raconté qu'il avait reçu chez lui un coup de téléphone du ministre Martin à l'époque au sujet des problèmes qui sévissaient entre les Finances et Travaux publics dans l'attribution des contrats. Le témoin a affirmé n'avoir pas rappelé, puisqu'une telle discussion ne devait pas avoir lieu à son niveau, mais il a écouté plusieurs fois le message enregistré dans sa boîte vocale.

Des liens étroits avec Paul Martin

Claude Boulay et sa conjointe, Diane Deslauriers, sont loin d'être de vagues connaissances du premier ministre Paul Martin. La famille complète aurait en fait côtoyé le politicien de façon presque quotidienne au cours de la campagne électorale de 1993.

Le 21 avril 2005, il a de nouveau été question des relations entre M. Boulay et M. Martin, que l'homme d'affaires a constamment tenté de minimiser cette semaine. «Nous avons très peu de liens: on se rencontre dans des activités, puis on se perd de vue pendant des années», avait-il affirmé. Lors de son témoignage devant la commission Gomery, le 9 février dernier, M. Martin avait décrit M. Boulay et sa conjointe Diane Deslauriers comme «des connaissances, qu'il avait peut-être rencontrés sur un terrain de golf».

En réalité, le couple Boulay-Deslauriers a rencontré presque quotidiennement Paul Martin lors de sa campagne électorale dans LaSalle-Émard en 1993. «J'ai eu à lui présenter ce qu'on pensait comme stratégie, quelques grands messages, a précisé M. Boulay. On revoyait des textes de discours avec lui, est-ce qu'il est à l'aise, pas à l'aise. Il y avait des bénévoles qui assistaient à ces réunions, plein de gens qui étaient responsables de la campagne électorale.»

La famille complète, incluant les trois enfants, a participé à cette campagne, a précisé par la suite Diane Deslauriers lors de son témoignage. «On faisait du porte-à-porte, du téléphone, du pointage, a raconté Mme Deslauriers. Durant ces 40 jours, on se voyait quotidiennement, mis à part ses quelques sorties qu'il faisait dans l'Ouest. C'est un homme très chaleureux, dévoué, auquel tu ne peux pas être indifférent.»

Mme Deslauriers a été attachée politique des ministres libéraux du Québec Paul Gobeil (de 1985 à 1989) et Liza Frulla (de 1993 à 1994), au moment où celle-ci était titulaire de la Culture. Mme Deslauriers a aussi prêté main-forte à Mme Frulla au moment du grand rassemblement fédéraliste montréalais, à quelques heures du référendum de 1995. À l'époque Liza Frulla n'était pas encore pressentie pour aller sur la scène fédérale.

Mme Deslauriers a admis avoir fait parvenir une invitation à M. Martin, alors ministre des Finances, en 2001, pour la fête-surprise devant marquer le 50e anniversaire de naissance de son mari. Une invitation qu'il a déclinée mais que Jean Lapierre a acceptée.

Pour ce qui est de Robert-Guy Scully, Mme Deslauriers assure qu'elle n'a mis aucune pression pour lui vendre des billets destinés à une activité au profit d'Alfonso Gagliano. «Il m'a demandé combien je voulais. Un poisson dans un aquarium se pogne aussi vite que ça. Il a acquiescé à l'achat de quatre billets, mais m'a dit qu'il ne voulait pas faire un chèque personnel de peur que ses collègues, Radio-Canada, le producteur, sachent qu'il donnait à un parti politique. Finalement le chèque a été fait au nom d'un tiers. Je ne lui ai pas tordu le bras. Encore une fois, c'est un président d'entreprise. Je lui fais peur ou quoi? Je n'ai pas compris. (...) Son histoire ne tient pas la route», a-t-elle asséné.

Le Bloc demande à la GRC d'enquêter sur le PLC

Le 25 avril, le Bloc québécois a déposé une plainte à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour qu'elle enquête sur les allégations de l'ancien directeur général de la section québécoise du Parti libéral du Canada (PLC), Benoît Corbeil, qui soutient que des avocats ayant travaillé à la campagne libérale de 2000 ont ensuite été promus juges.

Dans des entrevues accordées à La Presse et à d'autres médias, M. Corbeil a révélé que des avocats ont fait du travail «bénévole» pour le Parti libéral durant la campagne électorale de 2000 et que certains d'entre eux ont ensuite été nommés juges en guise de récompense.

Le critique du Bloc en matière de justice, Richard Marceau, a indiqué à La Presse que la plainte du Bloc vise à faire la lumière sur ces allégations. «Les affirmations de M. Corbeil sont extrêmement sérieuses. Si elles sont fausses, il faut qu'on le sache. Si elles sont fondées, il faut qu'un ménage soit fait.» Dans une lettre envoyée à la GRC, M. Marceau invite les forces policières à enquêter ces affirmations «extrêmement préoccupantes». Il fait également valoir que, à cause de son «rôle essentiel» dans la société, la magistrature doit être au-dessus de tout soupçon. C'est pourquoi il faut clarifier la situation, souligne-t-il.

Selon lui, cette demande d'enquête ne doit pas être vue comme une chasse aux sorcières visant à découvrir l'allégeance politique des juges. «Je n'ai rien contre le fait que des juges soient libéraux. Mais il faut s'assurer que l'allégeance à un parti politique n'est pas un préalable pour devenir juge», a-t-il dit.

La semaine dernière, Benoît Corbeil a également soutenu que l'ex-coprésidente de la commission électorale du PLC-Q, Claudette Tessier-Couture, savait que des milliers de dollars provenant d'une agence de publicité avaient été illégalement versés à des «bénévoles» du parti. Mme Tessier-Couture a été nommée juge à la Cour supérieure en 2003.

Le chef du PLC-Québec travaillait pour une agence

Le président du Parti libéral du Canada au Québec, le député Pablo Rodriguez, a travaillé pour ce parti pendant des mois alors qu'il figurait sur la liste de paie d'une importante compagnie de relations publiques citée par la commission Gomery, affirment trois militants libéraux.

M. Rodriguez est entré à l'agence Gervais Gagnon en 1996, à l'âge de 28 ans, comme vice-président et associé. Il a participé activement à la campagne électorale de 2000 et a aidé Paul Martin à devenir chef du parti. Lui-même s'est fait élire chef du PLC-Québec en novembre 2002. Selon son curriculum vitae, il a quitté Gervais Gagnon en 2003. Mais selon le registre des lobbyistes inscrits auprès du gouvernement fédéral, il y est resté jusqu'à mai 2004, soit un mois avant d'être élu député dans la circonscription de Honoré-Mercier (est de Montréal).

Interrogé le 27 avril, M. Rodriguez a reconnu qu'il avait consacré beaucoup d'heures au PLC alors qu'il était vice-président et associé chez Gervais Gagnon. Il a assuré qu'il l'avait toujours fait en dehors de ses heures normales de travail, sans jamais être payé par sa firme.

L'agence Gervais Gagnon, qui a donné 46 390$ au PLC de 1996 à 2003, a obtenu plusieurs contrats du gouvernement fédéral au cours des années. Selon un rapport remis au ministère du Revenu en juillet, elle est une des trois agences qui ont profité d'un appel d'offres «clairement biaisé» à la Société canadienne des postes.

«Moi, je travaillais à temps plein (pour Gervais Gagnon). Alors si, par exemple, je partais pour un lunch faire du bénévolat, je compensais à d'autres moments, a dit M. Rodriguez à La Presse. Je faisais du bénévolat (pour le PLC) dans mes temps libres, surtout le soir et la fin de semaine.»

Trois militants ou ex-militants affirment de leur côté que M. Rodriguez consacrait beaucoup plus qu'une heure par-ci par-là au Parti libéral. Benoît Corbeil, ancien directeur général de la section québécoise du PLC, soutient que M. Rodriguez était très souvent à la permanence du parti à Montréal lors de la campagne de 2000.

Un autre organisateur du PLC a confirmé cette affirmation sous le sceau de la confidentialité. M. Corbeil dit que M. Rodriguez était l'un des nombreux «bénévoles» professionnels prêtés au Parti libéral par des firmes d'avocats ou de relations publiques pendant cette campagne électorale. Toutes ces firmes, sans exception, ont obtenu des contrats ou des mandats gouvernementaux, dit-il.

La loi électorale stipule que des professionnels qui donnent des services à un parti politique dans leur champ d'expertise- par exemple en rédigeant des discours s'ils sont relationnnistes- ne peuvent pas être considérés comme des bénévoles. M. Rodriguez a écrit des discours.

En mai 2002, il s'est lancé dans la campagne pour être élu chef de la section québécoise du PLC. Il a reconnu que cela lui avait pris beaucoup de temps: il fallait rencontrer les militants des associations locales du parti partout au Québec. Mais il affirme que cela l'occupait seulement les soirs et les week-ends.

Impossible, rétorque Me Michel Gaudette, avocat de Saint-Hyacinthe qui a fait campagne en même temps que lui pour se faire élire à la présidence du PLC-Q. «C'est un travail qui occupe le jour, a dit Me Gaudette à La Presse. C'est impossible de faire ça simplement en dehors du temps de travail. On prend toujours du temps de travail. Une campagne, ça veut dire des téléphones aux militants, des contacts... C'est tout un branle-bas. Si la rencontre est à Hull le soir, il faut prendre l'après-midi.»

M. Rodriguez a commencé à militer il y a plus de 10 ans pour le Parti libéral du Québec et le Parti libéral du Canada. Après avoir aidé M. Martin à devenir chef du parti, il a demandé à ce dernier une «circonscription sûre» pour se présenter aux élections. M. Martin lui a d'abord offert la circonscription du ministre Stéphane Dion, mais celui-ci s'est accroché. Le premier ministre a alors convaincu Yvon Charbonneau de laisser sa place à Pablo Rodriguez dans Honoré-Mercier. Pour cela, il a offert à M. Charbonneau le poste d'ambassadeur à l'UNESCO à Paris. M. Rodriguez a battu sans difficulté le candidat du Bloc québécois.

Parizeau dénonce l'intolérance des fédéralistes

Le 2 mai 2005, réagissant pour la première fois aux différentes révélations entourant le scandale des commandites, l'ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, s'est dit heurté par «cette extraordinaire intolérance envers l'attitude des Québécois à déterminer leur avenir».

En entrevue à l'émission Le Point, sur les ondes de Radio-Canada, M. Parizeau a dit ne pas être scandalisé par les récentes révélations en rapport avec le scandale des commandites. Selon lui, il n'est pas mauvais de souligner l'intolérance des fédéralistes à l'égard de la moitié de la population. «C'est ça qui est choquant», a-t-il affirmé.

Cette intolérance, il la voit, entre autres, dans les récentes déclarations du juge en chef de la Cour d'appel du Québec, Michel Robert, qui croit que les souverainistes ne devraient pas avoir accès à la magistrature. «(Il) a l'extraordinaire culot de fermer la voie de la magistrature à la moitié de la population», a-t-il dit.

L'ancien premier ministre a paru ému lorsqu'on lui a rappelé les récentes déclarations de l'ex-directeur général du Parti libéral du Canada, section Québec, Benoît Corbeil, selon qui, M. Parizeau avait eu raison d'attribuer la défaite des forces souverainistes au référendum de 1995 «à l'argent et aux ethnies».

«Ca m'a fait du bien», a-t-il déclaré, rappelant qu'il avait souvent été injurié pour avoir fait cette déclaration.

M. Parizeau a affirmé que le scandale des commandites n'est pas quelque chose de vraiment neuf. Selon lui, le scandale est apparu il y a cinq ans. «Il y a quelqu'un qui a calculé que le Bloc québécois avait posé 411 questions à ce sujet», a-t-il indiqué. «C'est une hypocrisie qui a duré trop longtemps.»

Guité persiste à dire qu'il y a eu ingérence politique

Le 4 mai 2005, Charles Guité était prêt à reconnaître certains de ses torts devant la Commission Gomery, mais pas question pour lui de dire qu'il gérait à lui tout seul le programme fédéral des commandites.

Durant les quatre jours de son témoignage, le témoin l'a soutenu sur tous les tons. Il y a eu de l'ingérence politique provenant de deux endroits: du bureau du premier ministre, particulièrement du chef de cabinet Jean Pelletier et encore de Jean Carle, le directeur des opérations et du bureau du ministre des Travaux publics, soit par le ministre Alfonso Gagliano lui-même ou encore par son chef de cabinet Pierre Tremblay.

L'avocat de Jean Pelletier a fait remarquer au témoin que sa mémoire avait eu des failles quand il a été interrogé sur le travail qu'il avait fait pour diverses agences, après sa retraite, et qui lui avait rapporté des milliers de dollars (en fait 1 million en trois ans).

«J'ai beaucoup de difficultés M. le commissaire à être assis ici et à entendre dire que personne d'autre que moi n'était impliqué. Il y a de la documentation qui montre que le bureau du premier ministre était impliqué, et que le ministre était impliqué, comme on l'a vu il y a quelques jours. Personne ne se souvient», a soutenu le témoin d'un ton moins calme qu'à l'accoutumée.

«De l'autre côté de la clôture, personne n'était impliqué dans les commandites? Tout était fait par Charles Guité? Je suis désolé, telle n'était pas la situation», a-t-il fait valoir. «Si je suis incapable de vous donner des dates exactes ou encore ce qui a été exactement discuté et avec qui, je vais toujours maintenir que ces évènements, ces décisions et ses consultations ont été faites avec le bureau du ministre (Gagliano) et avec le bureau du premier ministre.

Pour les évènements commandités en 1996-1997, la liste des projets «aurait été approuvée» par le chef de cabinet du premier ministre, Jean Pelletier. Pour les projets de 1997-1998, M. Guité a dit que cela «aurait été fait» au bureau de M. Gagliano.

Le procureur de la commission a demandé à M. Guité s'il était consulté avant la prise de décisions. «Nous discutions des projets et révisions les projets avec le bureau du ministre et quand cela était fait, ils voulaient que la tarte soit divisée de façon juste entre certaines agences», a-t-il répondu.

Finalement M. Guité a été invité à examiner la dernière liste des projets approuvés avant son départ par l'avocat du Procureur général du Canada. On y trouve l'Ordre des Fils d'Italie au Canada, le Club de patinage artistique de St-Léonard, le Festival des Pompiers de Shawinigan, le Festival d'été de Shawinigan-sud, tous des événements qui se déroulaient dans les circonscriptions électorales du premier ministre Chrétien et du ministre Alfonso Gagliano. Cet examen venait renforcer les affirmations faites par M. Guité à de multiples reprises voulant que le programme des commandites était dirigé par la politique.

Son mari avait eu ses balles de golf et Aline Chrétien a eu ses montres

Il a fallu le passage de Charles Guité devant la commission Gomery pour apprendre que l'épouse du premier ministre Jean Chrétien, Aline, a eu son mot à dire dans le choix de montres-bracelets destinées à augmenter la visibilité du gouvernement du Canada au Québec et à l'étranger.

M. Guité l'a appris lors de la première commande d'objets promotionnels, par Jean Carle, du bureau du premier ministre Chrétien. M. Guité avait été invité par M. Carle à passer à son bureau pour qu'il lui indique les objets à commander, en vitesse, parce que le premier ministre s'apprêtait à diriger une mission économique d'Équipe Canada. Il se trouvait dans la salle d'attente quand il a aperçu Mme Chrétien qui sortait du bureau de M. Carle. Ce dernier les a présentés l'un à l'autre. Une fois dans le bureau de M. Carle, celui-ci lui a dit en désignant deux montres: «Ce sont les deux modèles qu'elle préfère».

Après cela, à chaque fois qu'il était question d'objets promotionnels, les fonctionnaires de l'équipe de M. Guité qui gérait le programme fédéral des commandites désignaient les divers objets (balles de golf, montres ou sacs) sous l'appellation de «les montres de Mme Chrétien».

Amusé par le récit du témoin, le commissaire Gomery lui a tout de même demandé comment des montres ou d'autres objets portant le drapeau du Canada pouvaient donner de la visibilité au gouvernement du Canada quand ils étaient distribués dans divers pays. «Ça n'avait pas grand chose à voir avec l'identité canadienne», a avancé le commissaire. «Je suis d'accord avec vous, ça n'avait rien à voir avec ça», a répondu le témoin.

Les travaux de la commission nous ont permis d'apprendre que la première commande, celle incluant les montres choisies par Mme Chrétien, a été faite auprès de Jean Lafleur Communications qui a refilé la commande à son fils Éric, de Publicité Dezert. Il n'y a pas eu d'appel d'offres comme le veut la règle gouvernementale. M. Guité a dit que l'état d'urgence dans laquelle il avait été placé l'avait empêché de faire autrement et a ajouté qu'il s'était fié à M. Lafleur pour qu'il fournisse les objets tout en s'en tenant à la marge bénéficiaire ayant court dans l'industrie. La preuve a démontré que cela n'a pas été fait.

Michel Béliveau se met à table

Le directeur général du Parti libéral du Canada au Québec, de 1996 à la fin de 1998, Michel Béliveau, s'est tourné à trois reprises vers Jacques Corriveau, un fervent libéral et grand ami de Jean Chrétien, pour obtenir de l'argent.

Devant la Commission Gomery, le 5 mai 2005, M. Béliveau a admis avoir personnellement reçu 110 000$ en argent comptant de M. Corriveau pour les besoins à combler en prévision de la campagne de 1997. Il a en outre dit avoir tout lieu de croire que Marc-Yvan Côté qui s'occupait de l'est du Québec pour les libéraux a reçu de la même source quelque 200 000$.

Une fois l'élection passée, M. Béliveau a demandé à M. Corriveau de lui donner 8000$ pour payer un commerçant qui avait été laissé en plan, dans la circonscription de Louis- Hébert, où la candidate libérale Hélène Scherrer avait été battue. Encore là, les 8000$ lui ont été remis en argent comptant. Il a suivi la même voie avec le même résultat pour verser un autre 8000$ à un bénévole de la région de Gatineau.

Après avoir fait ces déclarations, M. Béliveau a fondu en larmes. Il venait de parler d'une conversation qu'il avait eu tout récemment avec M. Jean Chrétien à qui il a annoncé son intention de s'ouvrir sur toutes ces affaires à la Commission Gomery.

Ce que Michel Béliveau a demandé... et reçu

Début 1997: demande 50 000$ à Groupaction, par l'intermédiaire d'Alain Renaud. «Je crois qu'ils l'ont fait, au parti ou à l'intérieur des comtés.»

Avril 1997: fait part à Jacques Corriveau des besoins du Parti en prévision des élections de juin 1997, évalués «entre 250 et 300 000$». Michel Béliveau reçoit peu après des mains de Corriveau une enveloppe contenant «de 75 à 100 000$» en billets de 20 et 100$. Selon M. Béliveau, Marc-Yvan Côté, organisateur libéral pour l'est du Québec, aurait également reçu peu après de «170 à 200 000$» comptant des mains de Corriveau.

Novembre 1997: le PLC doit 8000$ à un entrepreneur qui a fourni équipement et services pour la campagne de la candidate libérale battue dans Louis-Hébert, Hélène Scherrer. Jacques Corriveau le paie comptant à la permanence du parti, à Montréal.

Début janvier 1998: un bénévole de la région de Québec se présente dans la circonscription de Saint-Maurice, où Michel Béliveau était directeur de campagne, et réclame un remboursement de dépenses de 8000$. Jacques Corriveau lui donne cette somme comptant.

Début 1998: autre demande de 50 000$ à Groupaction par l'entremise d'Alain Renaud. Cette fois, c'est la société à numéro de Renaud elle-même qui fait un don officiel de 63 500$. Commentaire de Gomery: «Vous demandez 50 000 $ et vous recevez 63 500$... Quelle belle surprise!»

Août 1998: demande 8000$ à Alain Renaud pour l'élection partielle dans Sherbrooke. Michel Béliveau reçoit une enveloppe avec la somme «cash».

Michel Béliveau se ferme comme une huître

Au lendemain de son aveu voulant qu'il ait accepté 300 000$ en argent comptant de Jacques Corriveau, un fervent libéral et ami de Jean Chrétien, le directeur général du Parti libéral du Canada, au Québec, de 1996 à 1998, Michel Béliveau, a refusé d'en dire davantage. Il est demeuré fermé comme une huître, au point de rendre invraisemblables ses propos sur cette question.

Pressé à la fois par le commissaire Gomery et l'avocat du Procureur général du Canada, Sylvain Lussier, M. Béliveau a soutenu que l'argent que lui a remis M. Corriveau, peu avant l'émission des brefs pour l'élection générale de 1997, tenait dans une enveloppe épaisse.

Un peu plus tard, il y en avait deux, mais elles étaient toujours épaisses et contenaient un certain nombre de 100 $ et un certain nombre de 20 $. «C'est trop gros pour une enveloppe. Ça prend une petite valise», a lancé le commissaire Gomery. «C'était une enveloppe, mais assez épaisse, a assuré le témoin qui, peu après ajoutait : «ce serait une enveloppe, mais un peu épaisse. C'était réellement une enveloppe».

Et M. Corriveau sort ça de sa poche et vous ne lui posez aucune question ?, lui a demandé Me Lussier qui dit vouloir ainsi l'aider à se rappeler les circonstances ayant entouré le don de M. Corriveau. «Ça n'a pas dû vous arriver souvent. On a tous vu ça dans les films de gangster, mais dans la vraie vie, on n'a pas vu ça souvent», a ajouté l'avocat.

«Entre 75 000 $ et 100 000 $ c'est sûr», s'est limité à dire le témoin. «Que faites-vous avec l'argent ? M. Corriveau arrive avec ça, sans garde du corps, vous le prenez et vous allez voir M. Corbeil?» a questionné Me Lussier.

«Au niveau de la distribution, je l'ai peut-être mis dans une enveloppe», a répliqué le témoin.

«Vous trouviez ça normal de recevoir 100 000 $ en billets de 100$ et de 20$ dans une enveloppe», a repris le commissaire.

«Ça provenait quand même de personnes qui, selon moi, avaient volontairement accepté de le faire», a fait valoir M. Béliveau.

«Comment savez-vous que c'était 100 000$ ou 75 000$? Avez-vous compté?», a dit le commissaire.

«Moi je n'ai pas compté. Je faisais confiance à ces personnes», a répondu M. Béliveau.

«M. Corriveau vous a-t-il dit le montant exact?», a voulu savoir Me Lussier. «Les deux enveloppes étaient pour M. Corbeil. Je n'ai pas posé la question», a-t-il répliqué.

Me Lussier a souligné que selon les experts comptables de la commission, la rémunération de M. Corriveau s'était établi à 129 000$ en 1997.

«M. Corriveau connaissait les corporations et avait les connaissances pour aller chercher ces sommes-là», a indiqué le témoin. «Connaissait-il les dispositions de la loi qui disent qu'on doit déclarer une donation faite à un parti et un parti doit déclarer la donation reçue?», a mentionné Me Lussier.

«Il devait», a lancé le témoin.

On sait maintenant que M. Corriveau, par sa firme Pluridesign a tiré plus de six millions du programme fédéral des commandites.

La commission Gomery pourrait coûter jusqu'à 72 millions $

La commission Gomery, qui tente de déterminer comment des millions de dollars de l'argent des contribuables ont été dépensés, pourrait elle-même coûter jusqu'à 72 millions selon le réseau CTV. C'est ce qu'a confirmé le gouvernement fédéral à CTV News.

La rédaction et la vérification d'innombrables documents coûteront des dizaines de millions en frais juridiques. La vérificaiton comptable elle-même a coûté au moins 7 millions $, selon le réseau. CTV News dit avoir obtenu des documents qui détaillent notamment les honoraires pour trois des avocats de la commission:
- L'avocat principal, Bernard Roy: 969 480$.
- L'avocat-conseil Neil Finkelstein: 1 004 480$.
- L'avocat-conseil associé Guy Cournoyer: 805 400 $.

En février dernier, on avait estimé qu'il en coûterait environ 60 millions pour faire la lumière sur le scandale des commandites. Le gouvernement fédéral avait approuvé un budget de 21 millions $ à l'origine. Les montants qui auraient été dépensés de façon illicite au sein du programme de commandite s'élèvent à 100 millions $.

Corbeil payait les «bénévoles» du PLC

Pressé par des travailleurs d'élections désireux d'être payés, le directeur général du Parti libéral du Canada, section Québec, Benoît Corbeil s'est tourné à l'automne 2000 vers Jean Bard du bureau du ministre Alfonso Gagliano.

«Laisse-moi regarder ce que je peux faire», lui aurait dit M. Bard qui l'a mis en contact avec Jean Brault, de Groupaction, a raconté M. Corbeil, en matinée lundi, devant la Commission Gomery. Peu après, M. Brault et Corbeil ont discuté d'argent et M. Brault a dit qu'il avait suffisamment fait de dons officiels au PLC-Québec et a offert de verser 50 000 $ par le biais de Bernard Thiboutot et de sa firme Commando et a consenti à lui remettre 50 000 $ en argent comptant, en deux tranches.

M. Corbeil a distribué cet argent à huit personnes qui travaillaient avec lui à l'élection de 2000. Il s'agit de Daniel Dezainde (3000$) attaché de presse actuel du ministre Jacques Saada; Irène Marcheterre (5000$) actuellement directrice des communications du ministre Jean Lapierre; Luc Desbiens (5000 $); Pierre Lesieur (6000 $) qui était en 2000 au cabinet d'Alfonso Gagliano; Claude Lemieux (6000 $) directeur actuel de la députation au cabinet de Jean Charest; Michel Joncas (2000 $) actuellement président de la Commission de l'organisation du PLC national; Bruno Lortie (15 000 $) présentement chef de cabinet de la ministre des Affaires municipales Nathalie Normandeau; Richard Mimeau (6000 $). Un dernier 2000 $ a été remis à une personne, non identifiée, désignée par Daniel Dezainde.

Avant de fournir ces noms, M. Corbeil a eu un moment d'hésitation et a dit, avec émotion, qu'il avait perdu son emploi en raison des diverses informations dévoilées par la Commission Gomery.

À Ottawa, les propos de M. Corbeil ont eu un effet retentissant, les partis d'opposition sautant sur l'occasion pour tenter de mettre dans l'embarras les ministres qui ont à leur emploi des gens nommés par le témoin à la Commission. «Parmi tout le personnel de cabinet impliqué et identifié pour avoir touché de l'argent sale, il y a, entre autres, la directrice des communications du ministre des Transports», a lancé le leader du Bloc québécois en Chambre, Michel Gauthier. «Comment pouvait-il, devant toutes les caméras, l'année passée, nous dire que c'était un petit groupe parallèle, que ce n'était pas le coeur du Parti libéral?»

Les partis d'opposition ont eu beau s'époumoner, le gouvernement a répété qu'il ne s'agissait que d'allégations et que, d'ailleurs, le personnel politique des ministres Jean Lapierre, Lucienne Robillard et Jacques Saada avait nié avoir reçu de l'argent en dessous de la table.

De l'argent détourné pour le PLQ en 1998

De l'argent du programme de commandites a été détourné pour la campagne électorale de Jean Charest en 1998, a appris La Presse.

Dans son témoignage devant la commission Gomery, le 17 mars 2005, Bernard Thiboutot, fondateur de Commando Communications, avait souligné avoir embauché quelques firmes de consultants en 1998 pour une stratégie de mise en valeur des plaines d'Abraham. La seule firme identifiée alors par M. Thiboutot était Contrefort, une boîte de consultants de Québec dirigée pendant des années par Luc Bastien, libéral de longue date et travailleur bénévole aux campagnes électorales du Parti libéral du Québec.

Or, a révélé M. Bastien le 10 mai 2005, le mandat de 10 000$ accordé par M. Thiboutot n'avait rien à voir avec les plaines d'Abraham. Il s'agissait plutôt de réaliser une recherche sur les enjeux régionaux au Québec à la toute veille de la campagne électorale de Jean Charest. «Je n'ai jamais fait de contrat pour les plaines d'Abraham. M. Thiboutot m'avait appelé pour avoir des fiches d'information sur les régions du Québec», a précisé M. Bastien, qui est actuellement chef de cabinet du ministre de la Justice Yvon Marcoux.

À chaque campagne électorale du PLQ, M. Bastien joue un rôle important dans la préparation du contenu nécessaire aux discours des candidats en région, un travail identique à ce que lui avait demandé M. Thiboutot contre rétribution.

M. Thiboutot était le représentant de Gosselin Communication à Québec. Il a fondé une société, Commando, dont le principal rôle était de servir de paravent pour payer - à même les fonds versés par Jean Brault, de Groupaction -, le personnel électoral pour la campagne des libéraux fédéraux en 2000. «J'avais l'impression que c'était une contribution indirecte qu'il faisait... J'ai pris ça comme les contributions en nature que parfois les gens font. J'ai toujours été bénévole aux élections», a ajouté M. Bastien.

Quand on lui demande s'il voit un problème à ce que des fonds fédéraux viennent appuyer, indirectement, le contenu de la campagne provinciale de M. Charest, il réplique sans hésiter.

Des bénévoles payés et des menaces

Les révélations et les menaces se sont disputé la vedette hier à la commission Gomery.

Le 10 mai, l'ex-directeur général de l'aile québécoise du Parti libéral du Canada, Benoît Corbeil, a finalement lancé les noms de 11 militants libéraux qui ont reçu, selon lui, au total 59 000 $ en argent comptant de ses mains en 1997 et en 2000. Le choc a aussitôt été ressenti à Québec et Ottawa, où plusieurs de ces militants sont aujourd'hui attachés politiques.

La réplique n'a pas tardé: M. Corbeil a reçu en début d'après-midi une mise en demeure de trois des personnes visées, Irène Marcheterre, directrice des communications du ministre Jean Lapierre, Luc Desbiens, conseiller politique de Lucienne Robillard, et Richard Mimeau, directeur général du PLC jusqu'en février 2004. Les trois libéraux ont qualifié les propos de M. Corbeil de «faux, vexatoires et diffamatoires» et nié avoir reçu de l'argent comptant du PLC.

Leur démarche est d'autant plus étonnante que les témoins disposent de l'immunité judiciaire à l'occasion de leur comparution devant la commission. «Les personnes concernées peuvent venir ici et dire leur version des faits», a précisé le juge John Gomery.

Cette mise en demeure constitue, selon Benoît Corbeil, le troisième acte «d'intimidation» qu'il a subi depuis un mois, alors qu'il s'apprêtait à lever le voile sur les activités illégales de financement dont il dit avoir été témoin lors de son passage au Parti libéral du Canada.

Le premier est survenu il y a trois semaines, a-t-il affirmé à la commission, alors qu'il a reçu un appel «inquiétant» de l'ex-ministre des Travaux publics Alfonso Gagliano. «Il me dit: Je viens d'apprendre que tu vas faire des révélations à la commission qui sont fausses. Les gens vont sortir contre toi unanimement, tu vas perdre ta réputation, des amitiés. Je savais qu'en disant tout, il y aurait de l'impact», a raconté Benoît Corbeil.

Joint hier, Alfonso Gagliano a confirmé avoir contacté Benoît Corbeil peu avant son passage devant la commission Gomery. Son intention était de lui donner sa version des faits. «Il n'était pas question de faire des menaces. À ce moment-là, je parlais à quelqu'un que je considérais un ami. Peut-être que je me suis trompé», dit M. Gagliano.

Puis, quelques jours après cette conversation, Benoît Corbeil affirme avoir reçu un appel anonyme d'un homme qui lui conseille: «Fais bien attention, parce que ta réputation va être atteinte.»

Ce sont surtout les révélations de M. Corbeil entourant les élections de 2000 qui ont provoqué une onde de choc hier. À cette époque, a raconté l'ex-directeur général, la situation financière du PLC était «particulièrement difficile» et les travailleurs du parti commençaient à s'impatienter. «Les gens viennent me voir, ils veulent être payés, sinon ils ne travailleront plus, raconte M. Corbeil. Je prends le téléphone, j'étais tanné, et j'appelle Jean-Marc Bard (chef de cabinet du ministre Gagliano). Aidez-moi, ça n'a pas de bon sens», lui ai-je dit.

Quelques jours plus tard, M. Bard rappelle Benoît Corbeil et lui dit d'aller voir le président de Groupaction, Jean Brault. Selon son témoignage, la rencontre a lieu dans les bureaux de Groupaction, et M. Brault propose une contribution cachée de 100 000 $ divisée en deux tranches. La moitié de la somme transitera par une firme de Québec, Commando, qui paiera par chèque cinq travailleurs libéraux de cette région. Les autres 50 000$, M. Corbeil les recevra comptant quelques jours plus tard. «C'est assez spécial, a reconnu hier l'ex-directeur général. Mais M. Brault m'a dit que c'était à prendre ou à laisser.»

C'est Benoît Corbeil qui recevra l'argent, toujours en billets de 100 $ «enserrés dans des élastiques» et entassés dans de grandes enveloppes jaunes. «Non, ça ne se glissait pas bien dans le veston», a-t-il précisé en réponse à une question ironique de l'avocat de la commission. Il divise le tout en plus petits paquets de quelques milliers de dollars.

En octobre 2000, selon le témoignage de M. Corbeil, il donne cet argent à neuf travailleurs libéraux. Il a hésité quelques secondes hier avant de donner leur nom. «J'ai perdu mon emploi avec tout ça», a-t-il expliqué avec émotion, lui qui a été congédié de la Fondation de l'UQAM le mois dernier, dans la foulée du témoignage incriminant de Jean Brault.

Méthodique, M. Corbeil a lu les noms des neuf «bénéficiaires» ainsi que les sommes qu'ils auraient reçues. Ils ont farouchement nié hier avoir reçu cet argent. Selon M. Corbeil, Daniel Dezainde (3000 $), «une amie» de M. Dezainde (2000 $), Irène Marcheterre (5000 $), Luc Desbiens (5000 $), Pierre Lesieur (6000 $), Claude Lemieux (6000 $), Richard Mimeau (6000 $), Michel Joncas (2000 $) auraient reçu leur enveloppe cachetée. Le directeur général adjoint du PLC, Bruno Lortie, aurait quant à lui envoyé «deux jeunes» récupérer son enveloppe de 15 000$. Ce sont ces travailleurs, a soutenu M. Corbeil, qui souhaitaient être payés comptant. Et personne n'a posé de question? a demandé l'avocat de la commission, Guy Cournoyer. «Non, au contraire, ils m'ont dit merci», a répondu M. Corbeil. Il a pris soin à l'époque d'aviser tous les membres de l'instance la plus importante du parti, la commission électorale, que «tous les gens avaient été payés». Il n'a pas précisé comment. «Mais il n'y a pas juste Benoît Corbeil là-dedans, il y a beaucoup de gens à l'intérieur de nos murs.»

Le PLC-Québec «pris en otage» par Morselli

Menaces physiques, trafic d'influence, financement occulte, endettement vertigineux: la section québécoise du Parti libéral du Canada était, en 2001, prise en otage par Joe Morselli présenté alors comme le «vrai boss du parti».

C'est du moins l'impression qu'en a eue celui qui a été nommé directeur général du PLC-Québec en mai de cette année-là, Daniel Dezainde, qui a témoigné le 11 mai 2005 devant la commission Gomery. «J'allais de surprise en surprise. C'était insensé, il y avait des zones très très grises, des zones sombres.»

Candide par moments, M. Dezainde a livré son témoignage avec aplomb et a répondu sans détour aux questions de l'avocat de la commission.

«Avoir des menaces de cette manière-là, c'est la première fois que ça m'arrivait. Je sentais que ma sécurité était directement menacée.»

«M. Corriveau m'a déclaré: Dans le passé, j'avais mis en place un système où je recevais des ristournes des agences de commandite. J'en gardais une partie pour mes frais et le reste, je le mettais à la disposition du parti, affirme M. Dezainde. Ça m'a laissé sans voix. Mon premier réflexe, ç'a été un haut-le-coeur.»

Il a craqué à une occasion: ses yeux se sont embués quand il a évoqué les menaces dont il affirme avoir été victime en juillet 2001. Il s'agissait d'un épisode digne de la télésérie fantastique Twilight Zone. Dès son arrivée en poste, le 9 mai 2001, M. Dezainde est convoqué par Alfonso Gagliano, alors ministre des Travaux publics et lieutenant du Québec. On lui apprend que le financement du parti ne relèvera plus dorénavant du directeur général. «Ç'a jeté un peu d'ombre sur ma joie d'être nommé, se rappelle M. Dezainde. Je lui ai dit que je souhaitais rester au courant.»

Il le sera. En quelques mois, le directeur général fraîchement débarqué découvrira, dit-il, deux systèmes de financement cachés du PLC, dont un impliquant Jacques Corriveau, proche de Jean Chrétien.

Selon M. Dezainde, l'autre système parallèle de financement était dirigé par un homme ne disposant d'aucun statut officiel au parti, Joseph Morselli, protégé du ministre Alfonso Gagliano. M. Morselli est responsable du financement, mais ne rend aucunement compte de ses activités au parti. Dès son entrée en fonction, M. Dezainde se fait présenter M. Morselli par son prédécesseur, Benoît Corbeil. «Je te présente le vrai boss», lui aurait dit M. Corbeil. La formule ne plaît pas du tout au nouveau directeur général. «Pour moi, les vrais boss, c'est la présidente, le lieutenant ou le chef du parti, et M. Morselli n'était aucune de ces trois personnes, a expliqué M. Dezainde au commissaire Gomery. Je ne comprends pas cette espèce de structure parallèle composée de gens qui n'existent pas sur le papier, et qui me sont présentés comme le vrai boss.»

M. Dezainde a en outre eu droit à une colère mémorable de M. Morselli. Fin juin, le directeur général vient de congédier l'adjoint de M. Morselli, Beryl Wajsmann. Dans les bureaux de la permanence du parti à Montréal, M. Morselli est furieux et menace de faire «perdre des contrats gouvernementaux» à un ami de Daniel Dezainde, Serge Miousse, d'Allard Johnson Communication. «Ça ressemblait à du chantage, pas question de céder à ça», a déclaré M. Dezainde. Quelques minutes plus tard, selon son témoignage, Morselli renchérit et lui brandit un doigt à quelques centimètres du nez. Il lui annonce : «À partir de maintenant, je vous déclare la guerre.» C'est à ce point de son témoignage hier que M. Dezainde a pleuré. «Je vais m'en rappeler longtemps, a ajouté M. Dezainde. Avoir des menaces de cette manière-là, c'est la première fois que ça m'arrivait. Je sentais que ma sécurité était directement menacée.»

La «guerre» avait été provoquée par le fait que M. Dezainde avait découvert que Wajsmann, tout en travaillant au financement du PLC, faisait du lobbyisme. «Il faisait affaire avec des compagnies pour leur permettre d'obtenir des contrats gouvernementaux: il communiquait avec elles sur le fax du Parti libéral, avec du papier à l'en-tête du Parti libéral. C'est la recette idéale pour une explosion atomique.» Selon M. Dezainde, l'aile québécoise du PLC était carrément «prise en otage» par Jos Morselli et son adjoint Beryl Wajsmann. C'est que non seulement M. Morselli refuse de rendre des comptes sur ses activités de financement, mais il déclare au début du mois de juin 2001 que c'est lui qui décidera dorénavant des factures à payer. «Ça ne va plus du tout, c'est clair. J'informe Mme (Françoise) Patry (présidente du PLC-Québec), elle l'a dénoncé avec autant de véhémence. Le parti est complètement pris en otage à ce moment-là, c'est la situation dans laquelle on se trouve.»

Françoise Patry et Daniel Dezainde feront deux visites au bureau du premier ministre, en juillet et en décembre 2001, pour se plaindre la situation. Ils sont reçus par le chef de cabinet de Jean Chrétien, Percy Down, qui sera nommé au Sénat en 2003. La rencontre est décevante: les hautes instances du parti semblent plus préoccupées des tensions engendrées par le congédiement de Wajsmann que des raisons qui ont amené ce geste. Alfonso Gagliano, en particulier, n'aurait pas apprécié d'apprendre cette nouvelle après le fait. «On se laisse sur la note qu'on va garder le contact, dit M. Dezainde. Ça m'avait chagriné, j'ai senti que ces manifestations d'irritation avaient plus d'importance que le geste que nous avions posé.»

Dezainde demande la protection de la GRC

L'avocat d'Alfonso Gagliano a expérimenté l'effet boomerang, jeudi le 12 mai, à la suite des questions posées au témoin Daniel Dezainde, directeur général du Parti libéral du Canada, section Québec, à compter de mai 2001.

«Dans ma recherche d'informations dès mon entrée en fonction jusqu'au 29 juin, pendant toute cette période, je découvrais à chaque jour et à chaque détour de plus en plus d'éléments indiquant que des gens se servaient du parti pour faire du financement qui n'était pas légal et, ce qui est encore plus préoccupant pour votre client qui était mon patron à l'époque, c'était qu'on se servait de son nom pour justifier ces choses-là», a poursuivi le témoin.

«Avez-vous téléphoné à M. Gagliano pour lui dire ça?», a demandé Me Fournier.

«Je parlais au ministre Gagliano à tous les jours. Je l'ai rencontré à plusieurs reprises et je lui ai confié mes préoccupations au sujet du financement. Comme réponse, il me disait : «Il y a deux personnes à qui tu parles pour le financement, c'est à Jean-Marc Bard et Joe Morselli».

M. Dezainde a dit qu'il avait demandé tout récemment à la Gendarmerie royale du Canada de voir à sa protection en raison de la teneur de son témoignage.

On sait maintenant que Joe Morselli a déclaré la guerre à M. Dezainde quand il a congédié son ami Beryl Wajsman quelques semaines après son arrivée au poste de directeur général du PLC section Québec. Cette décision les avait rendu furieux et ils lui auraient fait sentir lors du tournoi du golf du ministre Gagliano le 21 août. «Ils me criaient des enfantillages», a-t-il dit.

Dans les semaines suivantes, quand il descendait au sous-sol avec le comptable du parti, Daniel Cloutier, là où étaient garées leurs véhicules, c'était à qui partirait son automobile le premier, a-t-il relaté.

Une certaine crainte demeure de sorte que le témoin a raconté avoir tout récemment confié ses appréhensions à la GRC, «compte tenu du témoignage que je m'apprêtais à livrer et des risques que ça pourrait représenter pour ma santé dû au fait que j'ai déjà été menacé par M. Morselli», a-t-il dit.

Opération secrète et coûteuse des libéraux

Le Parti libéral du Canada a mis sur pied une opération secrète pour contrôler les effets des révélations de la Commission Gomery sur les scandale des commandites, une opération ayant coûté jusqu'ici environ 1 million et qui serait financée par les contribuables canadiens, selon ce qu'a appris le Ottawa Citizen grâce à la Loi d'accès à l'information, le 24 mai 2005.

Le groupe chargé de l'opération serait en contact presque quotidien avec le bureau du premier ministre Paul Martin et avec le plus haut fonctionnaire de l'État, Alex Himelfarb. Il aurait été constitué tout juste après la formation de la Commission Gomery, en février 2004, soit après la publication du rapport accablant de la Vérificatrice générale, Sheila Fraser, sur le programme des commandites. L'existence de l'opération secrète et ses coûts est révélée après que le juge John Gomery lui-même se soit plaint, la semaine dernière, que des fonctionnaires fédéraux aient fait couler l'information à l'effet que les travaux de sa commission coûteraient 40 millions aux Canadiens, une somme exagérée, à son avis. Des porte-parole de la Commission s'attendent plutôt à un déboursé de 32 millions. Le juge Gomery a déjà mentionné être irrité par les initiatives du gouvernement Martin d'ajouter des frais cachés aux coûts d'ensemble de la commission.

Les commandites auraient coûté 355 millions

La grosse part des contrats de commandites gérés par la firme Groupaction, de Jean Brault, provenait de projets mis de l'avant par Luc Lemay d'Expour et Polygone. Ce groupe, notamment, tenait des salons de chasse et pêche et produisait des capsules pour la radio à la fin desquelles le gouvernement fédéral souhaitait à tous une bonne journée.

Sur la quarantaine de millions reçus par Polygone/Expour de 1996 à 2002 et émanant du programme fédéral des commandites, Luc Lemay a tiré des profits de plus de 25 millions, avant impôts. Jacques Corriveau de PluriDesign et grand ami de Jean Chrétien a bénéficié de 4,8 millions, essentiellement pour avoir décroché les contrats en question. On sait que Luc Lemay devra répondre de ses gestes devant la justice.

Ces données et cette analyse proviennent du rapport de quelque 300 pages déposé mardi à la Commission Gomery par la firme de juricomptables Kroll Lindquist Avey, qui a évalué à 332 millions $ les sommes fédérales consacrées aux commandites et à 1,1 milliard celles destinées à la publicité, de 1994 à 2003.

Autre constatation intéressante: les sommes facturées par les agences de communication, telles Everest, Groupaction et Lafleur, en commission et frais de production, équivalent à peu de choses près au montant de la commandite elle-même. Durant la période la plus active du programme fédéral, de 1996 à 2001, la firme d'investigation a mis en lumière que les agences ont facturé au gouvernement des montants supérieurs à celui des commandites. Une différence de neuf pour cent. Les travaux de la Commission Gomery ont abondamment démontré que peu ou pas de services ont été rendus par les agences chargées de voir à la visibilité du gouvernement canadien, particulièrement au Québec où les résultats serrés au référendum de 1995 avaient donné la frousse au gouvernement central.

Le PLC doit 5,4 millions, selon l'opposition

Le dérapage observé dans la gestion et l'attribution des contrats fédéraux de commandites a profité à hauteur d'au moins 5,4 millions $ au Parti libéral du Canada, entre autres par le biais d'un système de ristournes sur les contrats. C'est ce qu'a fait valoir le 15 juin 2005 devant la Commission Gomery le porte-parole du Bloc québécois. Le Parti conservateur n'a pas chiffré la somme à rembourser par les libéraux mais s'est dit «d'accord avec les chiffres du Bloc».

En réplique, le porte-parole du Parti libéral du Canada (PCL) a qualifié d'«injuste» l'évaluation de 5,4 millions $ parce que non conforme à la preuve présentée devant la commission.

Pour le Bloc québécois, Me Clément Groleau a fait valoir que «les activités du Bureau d'information du Canada, la mise à contribution de la Réserve pour l'unité pour financer les projets chéris du premier ministre, les diverses nominations partisanes, l'embauche des amis du régime par les sociétés d'État et le programme des commandites démontrent que les libéraux fédéraux ont confondu le bien public et le bien du Parti libéral du Canada».

Chrétien et Pelletier blâmés

Jean Chrétien, Jean Pelletier, Alfonso Gagliano: voilà la «direction politique» tant recherchée du scandale des commandites, a conclu le juge John Gomery dans un rapport de plus de 700 pages rendu public le premier novembre 2005, dans la capitale fédérale, sous le titre Qui est responsable?

À la demande du premier ministre, écrit-il, «M. Pelletier a lancé ce Programme et l'a personnellement dirigé. (…) Le Programme a été lancé dans la précipitation, sans faire l'objet de la moindre annonce publique», ajoute le juge.

Jean Pelletier

Ministre des Travaux publics de 1997 à 2002, M. Gagliano «a choisi de perpétuer la méthode irrégulière de gestion du Programme de commandites qu'avait adoptée M. Pelletier», écrit M. Gomery.

Plus encore, M. Gagliano a pris directement part à des décisions sur le financement de projets et d'événements «à des fins partisanes n'ayant pas grand-chose à voir avec l'unité nationale».

Citations du juge Gomery

Voici des citations tirées du rapport du commissaire John Gomery:

«Il est évident que la Commission avait devant elle quelqu'un (Jean Lafleur) qui préférait passer pour un imbécile plutôt que de dire la vérité.»

«Les contributions politiques étaient l'une des principales raisons pour lesquelles elles (les agences de communications) obtenaient des contrats de commandites.»

«De tous les témoignages des représentants des cinq agences favorisées, le plus complet et le plus candide, et de loin, est celui de Jean Brault. La commission estime que tout ce qu'a déclaré M. Brault est digne de foi. S'il y a eu des inexactitudes dans son témoignage, il faut les attribuer à des erreurs involontaires ou à des trous de mémoire.»

«L'une d'entre elles, l'agence Gosselin, ne voudra plus faire de contributions politiques et recevra une part nettement moins élevée des contrats de commandites.»

«M. Corriveau était l'acteur central d'un dispositif bien huilé de pots-de-vin qui lui avait permis de s'enrichir personnellement et de donner de l'argent et des avantages au PLCQ.»

«Je suis arrivé à la conclusion que M. Corriveau avait exploité sa réputation, son amitié avec le premier ministre et l'influence qu'il pouvait exercer au sein PLCQ pour favoriser les intérêts des sociétés de M. Lemay tout autant que les siens et ceux du PLCQ.»

«Les contributions non déclarées de Groupaction doivent être dénoncées. M. Brault a tenté d'acheter une influence politique pour permettre à Groupaction d'obtenir davantage de juteux contrats de commandites. Ses motifs étaient répréhensibles. Le comportement des représentants du PLCQ était tout aussi déplacé et répréhensible.»

«M. Corriveau dit que son souvenir de certains événements a été affecté par l'anesthésie qu'il a subie pour une opération chirurgicale en novembre 2004. La commission reste sceptique au sujet de cette explication.»

«La conjugaison du témoignage de M. Brault sur les paiements faits par Groupaction à Pluri-Design et de la révélation faite par M. Corriveau à M. Dezainde m'oblige à conclure que M. Corriveau était au cœur d'un dispositif bien huilé de pots-de-vin en vertu duquel certaines au moins des sommes payées par Groupaction à PluriDesign ont été utilisées par M. Corriveau dans l'intérêt du PLCQ.»

«Le témoignage d'Éric Lafleur, comme celui de son père, est tellement truffé de questions restées sans réponse que la seule conclusion que l'on en puisse tirer est que tous deux avaient décidé de dire qu'ils ne se souvenaient pas des faits pertinents afin d'éviter de dire la vérité

«(…) M. Pelletier était un acteur central qui prenait des décisions sur les événements à commanditer, et que c'était la personne à qui parler en ce qui concerne le choix des agences recevant des contrats.»

«L'absence de preuve de leur implication directe dans les malversations de M. Corriveau donne à MM. Pelletier et Chrétien le droit d'être exonérés de tout blâme pour l'inconduite de M. Corriveau.»

«M. Chrétien avait décidé de diriger le programme depuis son propre bureau et de demander à son personnel exonéré de s'en occuper, il est redevable de la manière déficiente avec laquelle le Programme et les initiatives de commandites ont été mis en œuvre.»

«M. Pelletier n'a pas pris les précautions les élémentaires contre les risques de mauvaise gestion - et il relevait de la responsabilité de M. Chrétien. Il auraient dû faire en 1996 ce que fit M. Goodale en 2002.»

«M. Gagliano a pris directement part aux décisions concernant le financement d'événements et de projets à des fins partisanes n'ayant pas grand-chose à voir avec l'unité nationale.»

«Il y a lieu d'exonérer M. Martin, au même titre que tout autre ministre du caucus québécois, de tout blâme pour imprudence ou négligence, étant donné que son rôle à la tête du ministère des Finances ne comprenait pas la supervision des dépenses du CPM ou de TPSGC.»

«Les personnes qui ont accepté des contributions en liquide et d'autres avantages malhonnêtes se sont déshonorées et ont déshonoré le parti politique.»

«On doit blâmer Michel Béliveau, Marc-Yvan Côté, Benoît Corbeil et Joseph Morselli pour leur inconduite. Ils ont agi au mépris des lois régissant les dons aux partis politiques.»

«L'institution qu'est le PLCQ est forcément responsable des fautes de ses dirigeants et représentants.»

«Malgré ses dénégations, M. Gagliano doit accepter une part du blâme pour avoir toléré les méthodes malhonnêtes employées pour financer les activités du PLCQ pendant des années, alors qu'il était lieutenant québécois du Parti libéral du Canada.>

«Toutes ces agences ont contribué au financement du Parti libéral du Canada. Peu importe que leurs contributions aient été licites ou illicites, il y avait un lien au moins implicite entre ces contributions et l'idée qu'elles seraient suivies de contrats de commandites.>

«Ce rapport n'est autre que la chronique déprimante des multiples carences constatées dans la planification déficiente d'un programme gouvernemental, conjuguées à l'incapacité de l'appareil gouvernemental à contrôler le gaspillage - une histoire de cupidité, de vénalité et d'inconduite au sein du gouvernement et d'agences de publicité et de communications, qui a entraîné la perte et le gaspillage de sommes considérables aux dépens des contribuables canadiens dont la colère et l'outrage sont légitimes.»

Gomery blâme l'entourage de Jean Chrétien

Le juge John Gomery attribue la responsabilité du scandale des commandites à l'entourage de Jean Chrétien et épargne Paul Martin dans son rapport intérimaire, où il dresse les constats sur la nature et la provenance du scandale.

Dans son rapport de 1400 pages, le juge Gomery estime que Jacques Corriveau se trouve au centre du système de ristournes scruté de près par la Commission. Il attribue une partie du blâme à l'ancien premier ministre Jean Chrétien car le programme des commandites était son idée. Il écorche aussi l'ancien chef de cabinet de M. Chrétien, Jean Pelletier.

Le commissaire constate que l'équipe de Jean Chrétien a court-circuité les fonctionnaires dans le mécanisme d'attribution des contrats quand le programme a été mis sur pied et administré. Le juge Gomery s'attarde particulièrement sur le rôle de Jean Pelletier dans la gestion des commandites. À son avis, M. Pelletier est responsable pour «un empiètement politique sur la conduite des affaires administratives», ce qu'il qualifie de «dangereux précédent» qu'il ne faut pas endosser.

Le juge dénonce «l'existence d'une culture du «tout m'est dû» chez les responsables politiques et les bureaucrates gérant le programme» ainsi que «le refus de ministres, des hauts responsables du cabinet du premier ministre et de fonctionnaires d'admettre leur responsabilité pour la mauvaise gestion constatée.» Selon le rapport, des agences payant les salaires de personnes qui, à toutes fins utiles, travaillaient pour le Parti libéral.

Le juge qualifie son rapport de constat d'un gâchis.

Martin ordonne de rembourser 1,1 million

Dans l'espoir de réduire l'impact du premier rapport Gomery sur le gouvernement minoritaire qu'il dirige, le premier ministre Paul Martin a ordonné le premier novembre au Parti libéral du Canada (PLC) de rembourser 1,1 million $ à l'État et de bannir à vie 10 personnes, dont les ex-ministres Alfonso Gagliano et Marc-Yvan Côté.

M. Martin a toutefois refusé d'exclure de son parti l'ex-premier ministre Jean Chrétien et son ancien chef de cabinet Jean Pelletier, même si le juge John Gomery les blâme dans son rapport.

Sont aussi bannis M. Corriveau (un proche de M. Chrétien), Michel Béliveau et Benoît Corbeil (anciens directeurs généraux de l'aile québécoise du PLC), Joseph Morselli et Beryl Wajsman (anciens bailleurs de fonds du PLC), Tony Mignacca (ancien organisateur politique de M. Gagliano), de même que Serge Gosselin (ancien employé clandestin du PLC).

Jean Chrétien veut en découdre en cour

L'ancien premier ministre Jean Chrétien n'a pas fait mentir sa réputation de bagarreur en refusant d'abdiquer devant le commissaire John Gomery. Il a défendu Jean Pelletier, s'est attaqué à Jean Lapierre et s'est même laissé aller jusqu'à critiquer à mots à peine voilés son successeur, Paul Martin.

Bien qu'il admette que le programme de commandites ait fait place à des «erreurs» et qu'il le «regrette profondément», M. Chrétien maintient que jamais son cabinet n'a administré le controversé programme, comme le soutient le juge Gomery dans son rapport. M. Chrétien a rejeté en bloc le rapport Gomery, qu'il considère biaisé. Pour cette raison, l'ancien premier ministre libéral a déclaré qu'il entend relancer ses démarches juridiques en Cour fédérale contre le commissaire qui a présidé à l'enquête sur le scandale des commandites.

Interrogé sur ce que savait son ministre des Finances du temps du programme des commandites, M. Chrétien a lâché sans hésiter que M. Martin «était au courant comme j'étais au courant, comme les autres ministres étaient au courant. C'est un programme qui était approuvé par le cabinet. L'argent, 50 millions par année, était voté dans le budget par M. Martin.»

M. Chrétien ne semble d'ailleurs pas trop impressionné par la décision de M. Martin de bannir du Parti libéral du Canada 10 acteurs blâmés dans le rapport Gomery. «Je n'ai jamais pensé que j'avais ce pouvoir-là. Si je l'avais eu, je l'aurais utilisé à plusieurs reprises et en particulier à l'endroit de M. Lapierre, quand il a fondé le Bloc québécois. Je lui aurais défendu de revenir à perpétuité», n'a pu s'empêcher de lâcher M. Chrétien.

Tout n'a pas été dit sur le rôle de Paul Martin dans les commandites

Tout n'a pas été dit sur le rôle joué par Paul Martin relativement au programme fédéral des commandites, avance Gilles Toupin, journaliste au quotidien La Presse, dans son livre tout chaud portant le titre "Le déshonneur des libéraux".

Contrairement à bien des commentateurs qui ont suggéré que le commissaire John Gomery a cherché à ménager Paul Martin dans son premier rapport, le journaliste estime qu'il a exonéré ce dernier tout simplement parce qu'il devait s'en tenir à la preuve faite devant lui tout au long de ses travaux. Tel était son mandat.

Paul Martin


Et les éléments d'informations sur lesquels le journaliste se base pour jeter un nouveau regard sur la responsabilité de Paul Martin proviennent des travaux du Comité des comptes publics et de sa conviction que M. Martin a minimisé, devant le commissaire Gomery, l'importance de ses relations avec le couple Claude Boulay et Diane Deslauriers, du groupe Everest. "Je prétends qu'il n'a pas tout dit. Il a caché avoir invité pendant quatre années consécutives le couple Boulay-Deslauriers à son dîner pour souligner les budgets successifs où il y avait autour de 70 personnes chaque fois. Il n'a jamais mentionné ça à la commission Gomery ou dans d'autres circonstances. Je prétends donc qu'on ne sait pas tout", a lancé Gilles Toupin dans une interview téléphonique.

"On n'a pas non plus tenu compte des lettres reçues en 2002, d'un organisateur libéral, qui le prévenait de ce qui se passait avec l'argent des commandites", a enchaîné le journaliste. "Ces deux éléments me portent à dire que Paul Martin a été blanchi par le commissaire Gomery qui n'a pas pu faire autrement avec les éléments qu'il avait en main. A mon sens, la question demeure en suspens, n'est pas réglée", a-t-il renchéri.

Au juge Gomery, M. Martin a dit de Claude Boulay qu'il n'était qu'"une connaissance". Dans son témoignage, Claude Boulay a dit avoir rencontré M. Martin deux fois par semaine au moment de la campagne électorale de 1993. En outre, l'épouse de M. Boulay, Diane Deslauriers a reconnu avoir reçu une lettre fort chaleureuse de M. Martin à la suite d'une invitation qu'elle lui avait lancée pour la fête entourant le 50e anniversaire de son mari. M. Martin y faisait l'éloge de la beauté de Diane Deslauriers, rappelle M. Toupin dans son livre. M. Boulay et son agence ont reçu entre 1994 et 2003 des contrats de commandite et de publicité totalisant 107 millions.

Pour un nouveau code moral au gouvernement

Il faut «changer la culture» gouvernementale qui a permis l'«aberration» du scandale des commandites, a affirmé hier le commissaire John H. Gomery, en rendant public son deuxième et dernier rapport sur cette affaire d'État, le premier février 2006.

Après deux années d'un travail acharné, la Commission d'enquête sur le programme de commandites et des activités de publicité a ainsi cessé d'être. Le juge Gomery a remis hier un volumineux rapport de 263 pages contenant 19 recommandations ainsi que trois volumes supplémentaires de 17 études d'experts sur divers aspects de la gouvernance. De plus, l'ouvrage, intitulé Rétablir l'imputabilité, contient une panoplie de suggestions complémentaires sur diverses questions touchant la transparence des institutions gouvernementales.

Le Bloc endosse les recommandations du juge Gomery

Le Bloc québécois endosse entièrement les recommandations du juge John Gomery en vue de renforcer le processus de reddition de comptes au sein du gouvernement fédéral. Le Bloc, qui avait fait parvenir ses propres recommandations à cet effet au juge lors des consultations qui ont suivi son enquête sur le scandale des commandites, se réjouit de voir celles-ci se retrouver en grande partie dans le deuxième rapport Gomery.

PEINE DE 30 MOIS POUR FRAUDE

Bronzé et l'air stoïque, Jean Brault, l'un des principaux acteurs du scandale des commandites, a pris le 4 mai 2006 le chemin de la prison. Durée du séjour: deux ans et demi, avec libération possible après cinq mois.

En rendant sa sentence, le juge Fraser Martin, de la Cour supérieure, n'a pas manqué de préciser qu'il en serait «facilement arrivé» à une peine de trois ans pour cette fraude de 1,2 million, mais qu'il devait tenir compte des 18 mois imposés il y a un mois par la Cour d'appel au publicitaire Paul Coffin. Le fait que Jean Brault ait plaidé coupable à cinq chefs d'accusation de fraude a été l'un des rares facteurs atténuants acceptés par le juge.

Chrétien veut avoir accès aux courriels secrets de Gomery

Les avocats de l'ex-premier ministre Jean Chrétien se sont présentés à la Cour fédérale, le 5 mai 2006, pour demander la mise en circulation des courriels et des documents confidentiels, qui pourraient démontrer la présumée partialité du juge Gomery pendant la commission d'enquête sur les commandites. «Nous disons qu'il est injuste que l'enquête du juge Gomery se soit conclue en vertu de preuves auxquelles nous n'avons pas accès», a expliqué l'un des avocats de M. Chrétien, Peter Doody.

M. Chrétien, son ancien chef de cabinet, Jean Pelletier, et l'ex-ministre aux Travaux publics, Alfonso Gagliano, demandent l'annulation du rapport Gomery, qui les a identifiés comme les principaux responsables du scandale des commandites. Les avocats des anciennes personnalités politiques affirment que les conclusions du juge Gomery ne sont pas fondées sur des preuves ayant été présentées au cours des longs mois de la commission. Le juge Gomery aurait accordé trop d'importance aux informations émanant du public. Ils ont aussi indiqué que les procédures de la commission avaient été inéquitables et que le juge Gomery avait fait montre de partialité.

Guité reconnu coupable

Charles Guité venait à peine d'être déclaré coupable par un jury, le 6 juin 2006, d'avoir fraudé le gouvernement fédéral dans l'attribution de cinq contrats à Groupaction qu'il annonçait au juge Fraser Martin son intention d'en appeler de ce verdict. Quelques secondes plus tard, il se retrouvait les menottes aux poignets et tentait tout de même, tant bien que mal, de placer un appel téléphonique.

Celui qui faisait quotidiennement depuis le début de son procès, le 5 mai, le trajet par train Ottawa-Montréal et l'inverse, en première classe, a plutôt été amené en prison.

Guité


42 mois de prison pour Charles Guité

L'ex-haut fonctionnaire fédéral Charles Guité a été condamné à 42 mois d'emprisonnement lundi le 19 juin 2006 au palais de justice de Montréal. Charles Guité avait été reconnu coupable d'avoir fraudé le gouvernement du Canada pour 1,2 million dans l'octroi de contrats à l'agence de publicité Groupaction.

En rendant sa sentence, le juge Fraser Martin de la Cour supérieure a souligné que Charles Guité bénéficiait d'une position de très haut niveau et qu'il avait abusé de la confiance placée en lui, ce qui constituait une circonstance aggravante. Le juge Martin a par ailleurs indiqué que l'aspect le plus décevant de cette affaire était l'absence complète et persistante de remords de l'accusé et sa perception à l'effet qu'il n'avait rien fait de mal.

Le magistrat a de plus fait valoir l'aspect dissuasif de l'emprisonnement, remarquant que Guité, autrefois flamboyant et plein d'assurance semblait, après 13 jours de prison, replié sur lui-même et ne plus être que l'ombre du personnage qui s'était défendu en Cour.

Le procureur de la Couronne, Me Jacques Dagenais, s'est dit très satisfait de la décision du juge. Il a estimé que Charles Guité méritait la peine la plus longue, surtout parce qu'il a abusé de la confiance du public. Me Dagenais a pris soin de rappeler, toutefois, que ce procès ne touchait que trois contrats en marge du programme de commandites qui, lui, était toujours sous enquête. Il a dit espérer que ces enquêtes permettent de faire la lumière sur d'autres aspects du dossier. Il a cependant reconnu que ces enquêtes étaient difficiles étant donné le manque de coopération de plusieurs intervenants.

Commandites: le PQ estime ne pas être coupable

Le chef du Parti québécois, André Boisclair, n'a pas mis de temps à annoncer que sa formation remboursera les sommes reçues illégalement de Groupaction. Dans les heures suivant la publication du rapport du juge à la retraite Jean Moisan, mercredi le 21 juin 2006, M. Boisclair a annoncé le dépôt d'un montant de 75 400 $ dans un compte en fidéicommis afin de le retourner aux Directeur général des élections.

Le juge Moisan a conclu que Groupaction avait versé, illégalement, 96 400$ au PQ entre 1995 et 2000, mais le parti avait déjà remboursé 21 000$ identifiés dans le rapport Gomery.

Même si le juge Moisan conclut que le PQ était au courant et a fermé les yeux sur ses contributions illégales, M. Boisclair refuse d'admettre que son parti a mal agi. Il dit avoir obtenu l'assurance mercredi matin même de Lucien Bouchard que celui-ci n'était pas au courant. Il ajoute que ce sont les employés et actionnaires de Groupaction qui ont agi illégalement en contribuant en leur nom pour la compagnie.

André Boisclair affirme par ailleurs qu'il n'y a jamais eu au Parti québécois de système par lequel les contributeurs pouvaient recevoir des contrats advenant une prise de pouvoir. Il fait valoir que Groupaction avait perdu le contrat de la SAQ après l'élection de 1998 et que le contrat obtenu par Groupaction avec Télé-Québec avait été octroyé à la suite d'un appel d'offres en bonne et due forme.



Références spécifiques à cette page (informations et photos):
Articles publiés dans le quotidien La Presse.
Dossier de nouvelles de la Société Radio-Canada (zone nouvelles).
Dossier politique du Bloc Québécois.

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