De Meech à Charlottetown




S'il est un épisode important mais complexe de l'histoire récente du Québec, c'est bien celui-là. Je vais essayer d'en résumer ici les événements importants sans trop aller dans les détails ennuyeux et sans non plus trop simplifier l'affaire. Beau défi en perspective! Ce qu'il faut savoir avant tout, c'est que ce processus fait suite à une promesse électorale du premier ministre canadien Brian Mulroney qui avait dit en 1984 qu'il souhaitait réintégrer le Québec dans la constitution canadienne «dans l'honneur et l'enthousiasme».

L'accord du Lac Meech

9 mai 1987: Le ministre québécois délégué aux affaires intergouvernementales, Gil Rémillard, énonce les conditions minimales pour que le Québec signe la constitution canadienne. Parmi celles-ci, on retrouve la reconnaissance du Québec en tant que «société distincte», un droit de veto sur tout futur changement de la constitution et une prise en charge complète de l'immigration sur le territoire québécois.

Juin 1987: Suite aux pourparlers entre Brian Mulroney et les premiers ministres des dix provinces, on conclue l'accord du Lac Meech. On accorde au Québec 5 de ses revendications:
1. Des sénateurs et des juges de la Cour suprême nommés par les provinces,
2. Les provinces peuvent prendre part à la politique d'immigration,
3. Les provinces peuvent réclamer une compensation financière si elles ne veulent pas participer à un programme fédéral,
4. L'unanimité des provinces est exigée pour les institutions centrales,
5. On accorde aussi au Québec le statut de société distincte en matière de langue, de culture et de système légal.

Février 1990: Lors du Conseil général du Parti libéral du Québec, le premier ministre québécois Robert Bourassa déclare qu'il ne pratiquera pas «le fédéralisme à genoux». Il souligne encore le caractère «non éternel» de la fédération canadienne. Plusieurs ministres évoquent leur engouement pour une solution qui ne serait plus fédéraliste.

5 avril 1990: Le premier ministre de Terre-Neuve, Clyde Wells, fait annuler par la législature de sa province la signature de son prédécesseur à l'accord du Lac Meech deux ans auparavant. Un grand vent d'intolérance souffle sur le Canada anglais.

Printemps 1990: En Ontario, une quarantaine de villes suivent l'exemple de Sault-Sainte-Marie (une ancienne fortification française) et se déclarent «unilingues anglaises». Dans la municipalité ontarienne de Brockville, des extrémistes antifrancophones s'essuient les pieds et crachent sur le drapeau du Québec devant les caméras de télévision. Face à ces démonstrations haineuses, l'éminent fédéraliste libéral Claude Ryan déclare en chambre: «Si de telles manifestations d'hostilité envers le fait français devaient continuer à se multiplier (...) il faudrait à n'en point douter que nous nous interrogions de manière décisive sur notre place dans ce pays.»

20 mai 1990: Dixième anniversaire du référendum sur la souveraineté du Québec de René Lévesque.

22 mai 1990: Suite au «rapport Charest» qui recommande «que le fédéral soit chargé de promouvoir le bilinguisme dans les provinces», le ministre québécois à la chambre des communes, Lucien Bouchard, démissionne en dénonçant «la dilution des 5 conditions minimales» du Québec.

Brian Mulroney
Brian Mulroney
9 juin 1990: Mulroney réunit tous les premiers ministres provinciaux à Ottawa pour tenter de sauver l'accord à la dernière minute. Ils promettent tous de «tout mettre en oeuvre» pour que leurs assemblées provinciales se prononcent avant le 23 juin. Les sondages montrent toutefois que les anglophones sont fortement opposés à l'accord ainsi qu'à toute forme de reconnaissance spéciale pour le Québec. Pendant l'été, les députés qui avaient quitté le Parti conservateur en mai fondent le Bloc québécois, un parti qui siège au parlement fédéral avec le mandat de défendre les intérêtes du Québec et de promouvoir sa souveraineté. Lucien Bouchard est élu à la tête de la nouvelle formation politique.

12 juin 1990: Le député manitobain Elijah Harper bloque le dépôt de la ramification de l'accord du Lac Meech.

22 juin 1990: Le premier ministre de Terre-Neuve, Clyde Wells, rescinde sa ratification de l'accord du Lac Meech. Il a trahi sa promesse et sa signature.

22 juin 1990: À la veille du délai pour la signature de l'accord, le Premier ministre du Québec, Robert Bourassa, déclare en chambre: «Le Canada anglais doit comprendre de façon très claire que, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, le Québec est, aujourd'hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d'assumer son destin et son développement.» Le chef du Parti québécois et de l'opposition, Jacques Parizeau, appelle Bourassa dans son propre discours «mon premier ministre» (du jamais entendu) et lui dit encore «je vous tends la main». Il traverse ensuite l'allée centrale pour venir féliciter Bourassa (du jamais vu) sous les applaudissements longs, nourris et chaleureux des des côtés de la chambre.

23 juin 1990: Terre-Neuve et le Manitoba ayant refusé de le signer, l'accord du Lac Meech est officiellement mort. Robert Bourassa déclare qu'il n'y aura plus de négociations à 11, qu'elles seront désormais bilatérales, entre Ottawa et Québec.

24 juin 1990: La parade de la Saint-Jean-Baptiste prend des proportions incroyables. Une véritable mer bleue déferle sur la rue Sherbrooke à Montréal. Des milliers de drapeaux québécois flottent au vent dans cette foule d'environ 400 000 personnes. La foule est sereine, fière, en liesse. Parmi elle se trouvent Lucien Bouchard et plusieurs députés du Parti conservateur qui annonceront leur démission le lendemain.

L'accord de Charlottetown

5 septembre 1990: L'Assemblée nationale du Québec met sur pied la commission Bélanger-Campeau sur l'avenir politique du Québec. Cette commission réunit des représentants du gouvernement libéral, de l'opposition péquiste et de divers autres milieux.

27 mars 1991: La commission Bélanger-Campeau remet son rapport. Ses conclusions sont que deux voies acceptables s'offrent au Québec: un fédéralisme très décentralisé ou encore la souveraineté. Le rapport dit encore qu'un Québec indépendant serait parfaitement viable économiquement et recommande un référendum au plus tard le 16 octobre 1992. D'ici là, le Québec est ouvert aux offres du gouvernement fédéral.

Le rapport Allaire devient le programme officiel du Parti libéral du Québec. Selon celui-ci, le Québec revendique le transfert de presque tous les pouvoirs fédéraux, ce qui ferait du Québec non pas une simple province parmi dix, mais un partenaire égal d'Ottawa dans la féderation. Les sondages démontrent qu'une majorité de Québécois sont en faveur de la souveraineté mais qu'une majorité d'anglophones croient en un gouvernement fédéral centralisé et s'opposent encore et toujours à toute reconnaissance spéciale pour le Québec.

20 juin 1991: L'Assemblée nationale adopte une loi qui prévoit la tenue d'un référendum sur la souveraineté du Québec avant le 26 octobre 1992.

Octobre 1991: L'ancien premier ministre du Canada, Pierre Trudeau, dans le cadre de sa vendetta personnelle contre toute reconnaissance officielle pour le Québec, déclare qu'une clause de société distincte permettrait au Québec de "déporter" des milliers de non-francophones. Cette accusation est qualifiée d'"indigne" par le chef du parti québécois, Jacques Parizeau. Ce dernier ajoute: "Mais il n'y a pas que des droits dans une démocratie, il y a des devoirs. Et l'un d'entre eux est de ne pas chercher, à des fins politiques, de provoquer, de faire flotter non seulement des faussetés mais des accusations d'une très grande gravité."

15 octobre 1991: Un sondage révèle qu'une forte majorité de la population des provinces anglophones refuse toujours de reconnaître au Québec le statut de société distincte et s'oppose à ce que le Québec obtienne un statut particulier. En effet, 57% des Canadiens de l'extérieur du Québec rejettent la reconnaissance de la société distincte alors que 79% des Québécois y souscrivent.

28 octobre 1991: Un comité de députés des trois partis politiques du Manitoba remet un rapport dans lequel il refuse de reconnaître le Québec comme une société distincte.

Juillet 1992: Plusieurs mois de discussion entre le gouvernement fédéral, les gouvernements des neuf provinces anglophones, ceux des deux territoires et de quatre groupes autochtones (une négociation à 17 plutôt qu'à 2 comme l'avait promis Bourassa) mènent à l'élaboration d'un nouveau projet constitutionnel, l'accord de Charlottetown. Cet accord constitue un important recul face aux exigences du rapport Allaire et Robert Bourassa déclare que ce «projet s'inscrit au registre du fédéralisme dominateur».

Août 1992: À la surprise générale, Robert Bourassa signe l'accord de Charlottetown. La transcription d'une conversation téléphonique privée entre deux hauts-fonctionnaires québécois sera par la suite rendue publique. Dans celle-ci, l'un des interlocuteurs déclare que Bourassa «s'est écrasé».

2 septembre 1992: Le ministre des affaires constitutionnelles, Joe Clark, demande aux anglophones de s'abstenir de faire des remarques "intolérantes" à l'égard du Québec pendant la campagne référendaire afin de ne pas nuire aux fédéralistes de Robert Bourassa.

3 septembre 1992: On amende la loi 150 pour que le référendum prévu sur la souveraineté du Québec devienne un référendum sur l'accord de Charlottetown. Bourassa dáclare «ce n'est pas tout à fait le Lac Meech mais nous avons fait des gains substanciels». Jean Allaire, Mario Dumont (président de l'aile jeunesse du parti) et plusieurs militants quittent le Parti libéral et fondent un groupe de réflexion qui mènera à la création d'un nouveau parti: l'action démocratique du Québec (ADQ). Les partisans de la souveraineté du Québec descendent dans la rue pour exiger un référendum sur la souveraineté. Robert Bourassa
Robert Bourassa


16 septembre 1992: La Fédération des femmes du Québec révèle, bande sonore d'une conversation téléphonique à l'appui, que le gouvernement fédéral a menacé de lui retirer ses subventions si elle prend position dans le débat référendaire. Sur la bande, la présidente de la FFQ s'indigne qu'on brîme sa liberté d'expression. Jean-Serge Beauregard, directeur du cabinet du secrétaire d'État Robert René De Cotret rétorque: "La liberté d'expression, il n'y a aucun problème. Comme on va dire au NAC, quand t'es nourri par ceux qui sont en train de défendre quelque chose, bien, c'est JUST TOO BAD, faut que tu fasses un choix dans la vie."

Octobre 1992: Pendant la campagne référendaire, les camps du OUI au Québec et au Canada se contredisent dans leurs efforts de convaincre les électeurs. Au Québec, Bourassa soutient que l'essence de Meech est présente dans l'Accord de Charlottetown. Au Canada anglais, Clyde Wells déclare plutôt que la clause de société distincte ne risque pas de donner un statut législatif particulier au Québec parce qu'elle est balisée par une autre clause qui énonce l'égalité des provinces. Il affirme même qu'une entente sur l'immigration pourra être ainsi amendée sans le consentement du Québec.

26 octobre 1992: Tous les Canadiens votent sur l'accord de Charlottetown. Résultats canadiens: NON à 56,7%. Résultats québécois: NON à 57%. Les Québécois votent majoritairement NON parce qu'ils voient bien que cet accord ne satisfait même pas les revendications dites «minimales» du Québec énoncées en 1987. Les Canadiens anglophones votent aussi NON pour la raison contraire; selon eux l'accord fait trop de concessions au Québec. Une fois de plus, les Québécois et les Canadiens auront été incapables de s'entendre et la seule voie qui semble alors ouverte au Québec est la souveraineté politique.

Par la suite, Mulroney et Bourassa démissionneront tous les deux et leurs deux partis seront battus aux élections fédérales et provinciales. À Ottawa, le Bloc québécois de Lucien Bouchard devient l'opposition officielle. À Québec, Jacques Parizeau et le Parti québécois sont portés au pouvoir. Tout est en place pour que soit tenu un véritable référendum sur la souveraineté du Québec. Celui-ci aura lieu en 1995.




Recommandations et conclusion de la Commission Bélanger-Campeau

La conversation Wilhelmy-Tremblay

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