Le Front de libération du Québec c'est d'abord et avant tout un projet révolutionnaire comme il y en a eu dans plusieurs pays du monde (les États-Unis, la France, la Russie, etc.) Pour bien comprendre les motivations, les frustrations et la raison d'être de ce mouvement de révolution, quoi de mieux que de leur donner la parole. Voici donc l'historique manifeste du F.L.Q. qui fut diffusé sur les ondes de Radio-Canada le 8 octobre 1970, deux jours avant l'enlèvement du vice-Premier ministre québécois; Pierre Laporte. Il est suivi d'une courte chronologie de la crise d'octobre.



Manifeste du F.L.Q.


Le Front de libération du Québec n'est pas le messie, ni un Robin des bois des temps modernes. C'est un regroupement de travailleurs québécois qui sont décidés à tout mettre en oeuvre pour que le peuple du Québec prenne définitivement en mains son destin.

Le Front de libération du Québec veut l'indépendance totale des Québécois, réunis dans une société libre et purgée à jamais de sa clique de requins voraces, les «big boss» patronneux et leurs valets qui ont fait du Québec leur chasse gardée du cheap labor et de l'exploitation sans scrupules.

Le Front de libération du Québec n'est pas un mouvement d'agression, mais la réponse à une agression, celle organisée par la haute finance par l'entremise des marionnettes des gouvernements fédéral et provincial (le show de la Brinks, le bill 63, la carte électorale, la taxe dite de «progrès social » (sic), power corporation, l'assurance-médecins, les gars de Lapalme).

Manifeste
Le Front de libération du Québec s'autofinance d'impôts volontaires (sic) prélevés à même les entreprises d'exploitation des ouvriers (banques, compagnies de finances, etc.).

«Les puissances d'argent du statu quo, la plupart des tuteurs traditionnels de notre peuple, ont obtenu la réaction qu'ils espéraient, le recul plutôt qu'un changement pour lequel nous avons travaillé comme jamais; pour lequel on va continuer à travailler. » René Lévesque, 29 avril 1970.

Nous avons cru un moment qu'il valait la peine de canaliser nos énergies, nos impatiences comme le dit si bien René Lévesque, dans le Parti québécois, mais la victoire libérale montre bien que ce qu'on appelle démocratie au Québec n'est en fait et depuis toujours que la « democracy » des riches. La victoire du Parti libéral en ce sens n'est en fait que la victoire des faiseurs d'élections Simard-Cotroni. En conséquence, le parlementarisme britannique, c'est bien fini et le Front de libération du Québec ne se laissera jamais distraire par les miettes électorales que les capitalistes anglo-saxons lancent dans la basse-cour québécoise à tous les quatre ans. Nombre de Québécois ont compris et ils vont agir. Bourassa dans l'année qui vient va prendre de la maturité : 100,000 travailleurs révolutionnaires et armés!

Oui il y en a des raisons à la victoire libérale. Oui il y en a des raisons à la pauvreté, au chômage, aux taudis, au fait que vous M. Bergeron de la rue Visitation et aussi vous M. Legendre de Ville de Laval qui gagnez 10,000 dollars par année, vous ne vous sentiez pas libres en notre pays le Québec.

Oui il y en a des raisons, et les gars de la Lord les connaissent, les pêcheurs de la Gaspésie, les travailleurs de la côte Nord, les mineurs de la Iron Ore, de Québec Cartier Mining, de la Noranda les connaissent eux aussi ces raisons. Et les braves travailleurs de Cabano que l'on a tenté de fourrer une fois de plus en savent des tas de raisons.

Oui il y en a des raisons pour que vous M.Tremblay de la rue Panet et vous M.Cloutier qui travaillez dans la construction à Saint-Jérôme, vous ne puissiez vous payer des «vaisseaux d'or» avec la belle zizique et tout le fling flang comme l'a fait Drapeau-l'aristocrate, celui qui se préoccupe tellement des taudis qu'il a fait placer des panneaux de couleurs devant ceux-ci pour ne pas que les riches touristes voient notre misère.

Oui il y en a des raisons pour que vous Madame Lemay de St-Hyacinthe vous ne puissiez vous payer des petits voyages en Floride comme le font avec notre argent tous les sales juges et députés.

Les braves travailleurs de la Vickers et ceux de la Davie Ship les savent ces raisons, eux à qui l'on n'a donné aucune raison qu'ils voulaient se syndiquer et à qui les sales juges ont fait payer plus de deux millions de dollars parce qu'ils avaient voulu exercer ce droit élémentaire. Les gars de Murdochville la connaissent la justice et ils en connaissent des tas de raisons.

Oui il y en a des raisons pour que vous M. Lachance de la rue Ste-Marguerite, vous alliez noyer votre désespoir, votre rancoeur et votre rage dans la bière du chien à Molson. Et toi, Lachance fils avec tes cigarettes de mari…

Oui il y en a des raisons pour que vous, les assistés sociaux, on vous tienne de génération en génération sur le bien-être social. Il y en a des tas de raisons, les travailleurs de la domptar à Windsor et à East Angus les savent. Et les travailleurs de la Squibb et de la Ayers et les gars de la Régie des Alcools et ceux de la Seven Up et de Victoria Precision, et les cols bleus de Laval et de Montréal et les gars de Lapalme en savent des tas de raisons.

Soldat
L'armée à Montréal
Les travailleurs de Dupont of Canada en savent aussi, même si bientôt ils ne pourront que les donner en anglais (ainsi assimilés, ils iront grossir le nombre des immigrants, Néo-Québécois, enfants chéris du bill 63).

Et les policiers de Montréal auraient dû les comprendre ces raisons, eux qui sont les bras du système; ils auraient dû s'apercevoir que nous vivions dans une société terrorisée parce que sans leur force, sans leur violence, plus rien ne fonctionnait le 7 octobre!


Nous en avons soupé du fédéralisme canadian qui pénalise les producteurs laitiers du Québec pour satisfaire aux besoins anglo-saxons du Commonwealth; qui maintient les braves chauffeurs de taxi de Montréal dans un état de demi-esclaves en protégeant honteusement le monopole exclusif de l'écoeurant Murray Hill et de son propriétaire-assassin Charles Hershorn et de son fils Paul qui, à maintes reprises, le soir du 7 octobre, arracha des mains de ses employés le fusil de calibre 12 pour tirer sur les chauffeurs et blesser ainsi mortellement le caporal Dumas, tué en tant que manifestant; qui pratique une politique insensée des importations en jetant un à un dans la rue les petits salariés des Textiles et de la Chaussure, les plus bafoués au Québec, aux profits d'une poignée de maudits «money-makers » roulant en cadillac; qui classe la nation québécoise au rang des minorités ethniques du Canada.

Nous en avons soupé, et de plus en plus de Québécois également, d'un gouvernement de mitaines qui fait mille et une acrobaties pour charmer les millionnaires américains en les suppliant de venir investir au Québec, la Belle Province où des milliers de milles carrés de forêts remplies de gibier et de lacs poissonneux sont la propriété exclusive de ces mêmes Seigneurs tout-puissants du XXe siècle; d'un hypocrite à la Bourassa qui s'appuie sur les blindés de la Brinks, véritable symbole de l'occupation étrangère au Québec, pour tenir les pauvres «natives» québécois dans la peur de la misère et du chômage auxquels nous sommes tant habitués; de nos impôts que l'envoyé d'Ottawa au Québec veut donner aux boss anglophones pour les «inciter », ma chère, à parler français, à négocier en français : repeat after me : «cheap labor means main-d'oeuvre à bon marché»; des promesses de travail et de prospérité, alors que nous serons toujours les serviteurs assidus et les lèche-bottes des big-shot, tant qu'il y aura des Westmount, des Town of Mount-Royal, des Hampstead, des Outremont, tous ces véritables châteaux forts de la haute finance de la rue Saint-Jacques et de la Wall Street, tant que nous tous, Québécois, n'aurons pas chassé par tous les moyens, y compris la dynamite et les armes, ces big-boss de l'économie et de la politique, prêts à toutes les bassesses pour mieux nous fourrer.

Nous vivons dans une société d'esclaves terrorisés, terrorisés par les grands patrons, Steinberg, Clark, Bronfman, Smith, Neapole, Timmins, Geoffrion, J.L. Lévesque, Hershorn, Thompson, Nesbitt, Desmarais, Kierans (à côté de ça, Rémi Popol la garcette, Drapeau le dog, Bourassa le serin des Simard, Trudeau la tapette, c'est des peanuts!).

Terrorisés par l'Église capitaliste romaine, même si ça paraît de moins en moins (à qui appartient la Place de la Bourse?), par les paiements à rembourser à la Household Finance, par la publicité des grands maîtres de la consommation, Eaton, Simpson, Morgan, Steinberg, General Motors…; terrorisés par les lieux fermés de la science et de la culture que sont les universités et par leurs singes-directeurs Gaudry et Dorais et par le sous-singe Robert Shaw. Nous sommes de plus en plus nombreux à connaître cette société terroriste et le jour s'en vient où tous les Westmount du Québec disparaîtront de la carte.

Travailleurs de la production, des mines et des forêts; travailleurs des services, enseignants et étudiants, chômeurs, prenez ce qui vous appartient, votre travail, votre détermination et votre liberté.

Et vous, les travailleurs de la General Electric, c'est vous qui faites fonctionner vos usines; vous seuls êtes capables de produire; sans vous, General Electric n'est rien!

Travailleurs du Québec, commencez dès aujourd'hui à reprendre ce qui vous appartient; prenez vous-mêmes ce qui est à vous. Vous seuls connaissez vos usines, vos machines, vos hôtels, vos universités, vos syndicats; n'attendez pas d'organisation miracle.

Faites vous-mêmes votre révolution dans vos quartiers, dans vos milieux de travail. Et si vous ne le faites pas vous-mêmes, d'autres usurpateurs technocrates ou autres remplaceront la poignée de fumeurs de cigares que nous connaissons maintenant et tout sera à refaire. Vous seuls êtes capables de bâtir une société libre.

Il nous faut lutter, non plus un à un, mais en s'unissant, jusqu'à la victoire, avec tous les moyens que l'on possède comme l'ont fait les Patriotes de 1837-1838 (ceux que Notre sainte mère l'Église s'est empressée d'excommunier pour mieux se vendre aux intérêts britanniques).

Qu'aux quatre coins du Québec, ceux qu'on a osé traiter avec dédain de lousy French et d'alcooliques entreprennent vigoureusement le combat contre les matraqueurs de la liberté et de la justice et mettent hors d'état de nuire tous ces professionnels du hold-up et de l'escroquerie : banquiers, businessmen, juges et politicailleurs vendus!!!

Nous sommes des travailleurs québécois et nous irons jusqu'au bout. Nous voulons remplacer avec toute la population cette société d'esclaves par une société libre, fonctionnant d'elle-même et pour elle-même, une société ouverte sur le monde.

Notre lutte ne peut être que victorieuse. On ne tient pas longtemps dans la misère et le mépris un peuple en réveil.
Laporte
Mort du ministre Pierre Laporte


Vive le Québec libre!
Vives les camarades prisonniers politiques!
Vive la révolution québécoise!
Vive le Front de libération du Québec!




Le manifeste fait référence à:

Le 7 octobre 1969 fut le théâtre d'une grève des policiers de Montréal. Le même jour eut lieu une manifestation devant les bureaux de la compagnie Murray Hill pendant laquelle il y eut un mort et plusieurs blessés.

La victoire libérale: le 29 avril 1970, les libéraux de Robert Bourassa remportent les élections avec 72 sièges contre seulement 7 pour le jeune Parti québécois.

Les gars de Lapalme: le ministère canadien des Postes a mis à pieds 400 employés de la compagnie de transport de courrier Lapalme.


Courte chronologie de la crise d'octobre:

5 octobre 1970: Le F.L.Q. kidnappe le diplomate britannique James Richard Cross.

6 octobre 1970: Le Secrétaire d'État aux affaires extérieures du Canada, Mitchell Sharp, refuse de céder aux conditions du F.L.Q. pour la libération de James Richard Cross, publication dans les journaux du texte du manifeste.

7 octobre 1970: Lecture du manifeste à la radio de CKAC.

8 octobre 1970: Lecture du manifeste à la télévision de Radio-Canada.

10 octobre 1970 (18h00): Le ministre de la Justice du Québec, Jérôme Choquette, déclare en conférence de presse que le gouvernement refuse toute négociation avec le F.L.Q.

18h18: La cellule felquiste dont font partie Francis Simard, Paul Rose, Jacques Rose et Bernard Lortie kidnappe le ministre du Travail du Québec, Pierre Laporte.

11 octobre 1970: Robert Bourassa laisse entendre qu'il accepte de négocier avec le F.L.Q.

16 octobre 1970 (4h00 du matin): Le Premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, décrète la Loi des mesures de Guerre. L'armée canadienne s'installe à Montréal pour assurer la protection des édifices gouvernementaux et la police procède à 457 arrestations sans mandat de citoyens innocents.

17 octobre 1970: On découvre le cadavre du ministre Pierre Laporte dans le coffre d'une voiture.




Pour en savoir plus sur le F.L.Q. et la crise d'octobre:

Je vous recommande le livre de l'ex-felquiste Francis Simard. En 1970, il était membre de la cellule du F.L.Q. responsable de l'enlèvement et de l'assassinat de Pierre Laporte. Son livre vous fera littéralement VIVRE l'histoire, vous allez vous retrouver dans les souliers de ce jeune homme qui était au premier plan de ces turbulents événements. Le livre est facile à lire et accessible à tous, il s'intitule «Pour en finir avec Octobre» et a été publié chez Stanké.

Le superbe film «OCTOBRE» vous fera vivre ce tragique chapitre de notre histoire du point de vue des membres de la cellule Chénier du F.L.Q. C'est l'oeuvre de l'excellent cinéaste québécois Pierre Falardeau (Le Party, Elvis Gratton, Le Temps des Bouffons, etc.)

Allez jeter un coup d'oeil à ma page de liens, dans la section Histoire du Québec, vous trouverez l'adresse d'un site dédié entièrement à l'histoire du Front de Libération du Québec et aux événements qui conduirent à la crise d'octobre. Ce site est vraiment très bien documenté.




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