LA BANDE DESSINEE QUEBECOISE
Tout d'abord, j'aimerais avertir tous mes lecteurs que, contrairement aux BD européennes et américaines qui sont amplement documentées, j'ai dû me fier en grande partie à mes connaissances personnelles pour réaliser cette page. Il est possible qu'il y ait des failles ou des inexactitudes. Si c'est le cas, je vous serais reconnaissant de communiquer avec moi et de m'aider à compléter les informations. Vous pouvez m'envoyer du courrier électronique en cliquant ici. Tous les commentaires sont bienvenus et je vous en remercie à l'avance.

Les débuts: 1902 à 1945

Les recherches du permier phylactère québécois se poursuivent. On a affirmé qu'il était apparu dans La Presse du 23 décembre 1899, dans une publicité de la «Dominion Pianos and Organs». Michel Viau, rédacteur en chef de Safarir m'affirme en avoir trouvé d'autres dans les pages du journal satirique Le Canard dès 1885!

M. Viau m'informe également de l'existence de plusieurs journaux humoristiques et satiriques de la fin du 19e siècle dans lesquels seraient parus les premières BD québécoises: «Dans le seconde moitié du 19e siècle, de 40 à 60 journaux humoristiques ont été publiés (certains n'on paru que le temps d'un à deux numéros): La Scie, Le Taureau, Le Violon, La Lanterne, Le Perroquet, etc. Le Canard est celui qui a eu la plus grande longévité. Les premières BD québécoises ont été publiées dans ces journaux. Au début il s'agissait de gravures sur bois avec texte typographié en dessous, puis les bulles sont apparues vers 1885.»

Une des premières BD québécoises fut publiée dans les pages du quotidien La Presse le 20 décembre 1902. Cette bande comportant quatre cases s'intitulait «Pour un dîner de Noël» et était signée Raoul Barré. On m'informe que cet artiste s'exila par la suite aux États-Unis où il travailla dans le domaine du dessin animé. Merci à Sylvain Lemay pour ces précieuses informations (ainsi que plusieurs autres qui figurent maintenant sur cette page)!

Baptiste
Baptiste
Une autre BD naquit en 1904 dans le journal La Patrie. L'auteur est Albéric Bourgeois. Caricaturiste et bédéiste à la fois, il publie Les Aventures de Timothée jusqu'en 1908 (reprise de 1920 à 1926, puis en 1933). Bourgeois était bien connu pour ses personnages originaux: le Toinon et Baptiste, ce dernier étant un petit bonhomme très stéréotypé qui rappelle les anciens Canadiens. À La Presse, il dessine également les aventures du Père Ladébauche, créé en 1904 par Hector Bethelot. Bourgeois termine sa carrière en 1957. Le matériel bon marché des «Syndicates» américains envahira par la suite complètement les journaux québécois sans laisser de place aux productions locales.

Pendant la guerre de 39-45, les publications de comic-books américains furent interrompues et permirent l'apparition de titres et de héros canadiens-anglais. Quelques artistes québécois contribuèrent à ces éphèmères publications. Citons en exemple E.T. Legault qui dessina les aventures de «Dixon of the Mounted» et de «Whiz Wallace».

En 1943, un Laurentien bègue et moustachu qui répond au nom de Onésime fait son apparition. Celui-ci connaîtra ses premières aventures dans les pages d'une publication intitulée Le Bulletin des Agriculteurs. L'artiste derrière Onésime, c'est Albert Chartier. Chartier faisait déjà de la BD dans les années 30 pour le journal La Patrie, mais c'est avec Onésime qu'il atteindra la notoriété. Cliquez ici pour lire une page du classique Onézime.

ONEZIME
Onésime
Un couple de jeune dessinateurs québécois, les Vincent, publiait en 1944 des BD de très bonne qualité dans Le Soleil, Le Droit et La Patrie. Ils sont malheureusement remerciés de leurs services sous la pression des syndicats américains qui ne tolèrent aucune concurrence locale. Cette triste réalité signifie que, dans les années de l'après-guerre, la BD québécoise n'existe pratiquement plus.

Un second souffle: 1965 à 1979

Vers 1965, Claude Haeffely, Michel Fortier, Marc-Antoine Nadeau et André Montpetit se rencontrent et élaborent des projets communs. C'est la naissance de Chiendent, une publication qui ne survivra que six mois, malgré sa grande qualité. Mira Falardeau écrit à leur sujet: «Avant-gardiste, Chiendent présente des artistes en pleine possession de leur art (...) Mais il est difficile d'être à l'avant-garde quand la tradition n'existe pas... Et les quotidiens de même que les publications pour la jeunesse, qui auraient dû être les principaux moyens de diffusion de leur art, leur restaient obstinément fermés.»

En 1970, André Philibert publie à compte d'auteur Oror 70 aux Éditions du Cri. Cette BD psychédélique met en vedette la première super-héroïne de BD québécoise, la très politisée Oror. Les 1000 exemplaires de cet album sont rapidement vendus.

En juin 1970, deux jeunes étudiants de Sherbrooke, Fernand «Fern'» Choquette et André «Bois'» Boisvert, créent un petit recueil de leurs propres créations intitulé Made in Kébec (initialement intitulé «Ma(r)de in Kébec»). Le thème de base portait sur la drogue. Le premier numéro de cette production artisanale connut un bon succès dans le milieu universitaire de la ville. Les numéros suivants, plus gros et publiés en trop grands nombres, annoncent la mort de la publication qui s'éteindra en 1972 avec le numéro 4. D'autres fanzines locaux connaissent des histoires semblables, citons ici à titre d'exemple BD (publié à Montréal de 1971 à 1973), Pizza Puce (publié à Québec en 1971) et La Pulpe (publié à Ottawa de 1973 à 1975).

Vers la fin de 1970, la maison d'édition Héritage publie le premier numéro d'une BD intitulée «Les aventures du Capitaine Bonhomme». Cette BD est inspirée d'une très populaire émission pour enfants de l'époque. Le scénario est signé Michel Servani et les dessins sont de Gui Laflamme. J'ignore si d'autres numéros ont été publiés par la suite. Merci à M. Bertrand Leblanc qui m'a informé de l'existence de cette BD et qui a eu l'amabilité de me faire parvenir deux images tirées de cette BD que vous pouvez voir en cliquant ici.

Également dans les années 70, la compagnie Héritage offrira aux Québécois des traductions des grands titres américains tels que Archie et tous les grands super-héros des comic-books. Héritage publiera également quelques BD québécoises originales, comme NIC ET PIC (inspiré du duo de souris d'une populaire émission pour enfants) ou encore Brisebois et compagnie...!. Ce sympathique barbu est entraîné dans diverses aventures rocambolesques qui finiront toujours par lui donner mauvaise mine aux yeux de sa fiancée. Je me souviens aussi d'un grand chien plutôt maigre et paresseux qui s'appelait Diogène. Cette BD était signée Henri Desclez et ce dernier fut ensuite rédacteur-en-chef de la revue Tintin jusqu'en 1976. Cliquez ici pour voir les couvertures des deux premiers numéros. Brisebois
Brisebois


En 1971, Gilles Desjardins, Françoise Barrette et Jacques Hurtubise fondent «L'Hydrocéphale». Plusieurs talentueux bédéistes dessineront dans les pages de cette revue. Le désormais légendaire Jacques Hurtubise m'a lui-même confié: «Je rêvais avec mes camarades de faire de la BD mais nous n'avions pas de support pour la diffuser. D'où l'idée de créer un magazine. C'est d'ailleurs ce rêve qui nous a animés au cours de toutes nos aventures...» L'année suivante, Jacques rencontre celui qui deviendra son collaborateur et complice, Pierre Fournier. À l'été de 1972, L'Hydrocéphale présente la BD québécoise au Comic Art Convention de New York. M. Hurtubise explique ainsi la suite des événements: «Françoise Barrette est retournée à ses études en art. Pierre a quitté son job pour se joindre à Gilles et à moi. En partageant avec mes camarades mes humbles honoraires de chroniqueur de BD à Téléchrome (une émission hebdomadaire à Radio-Canada) nous avons pu travailler au lancement de l'Illustré, la suite de nos efforts pour créer un magazine de bandes dessinées québécoises. L'Illustré ne connu qu'un numéro mais il apporta à mes camarades et votre humble serviteur une expérience précieuse pour la suite.» Un gros merci à Jacques Hurtubise qui a si gentiment pris le temps de m'écrire pour rectifier certains faits et pour en ajouter d'autres à ma chronologie.

CAPITAINE QUEBEC
Capitaine Québec
1973 voit naître le Capitaine Kébec, de Pierre Fournier, un héros plutôt hippie arborant barbe et cheveux longs. Il s'agit en fait d'une parodie des super-héros américains. Le sympathique personnage évolua, le temps d'un numéro, dans sa propre BD de style «comic» et par la suite dans les pages de L'Illustré, revue de BD québécoise publiée à la même époque. Le premier numéro est officiellement lancé lors du «Show de la bande dessinée québécoise» à l'université de Montréal. Cliquez ici pour lire une page de cette hilarante BD.

C'est en 1973 qu'apparaît Bojoual, le Huron-Kébékois. Il s'agit d'un bedonnant barbu, jovial et sympathique, fort comme un cheval et fûté comme un renard. Avec ses amis les Hurons, il doit affronter les mesquins projets de rivaux qui ne sont pas sans nous rappeler les politiciens de l'époque. Le pire ennemi de Bojoual, Pétak, a des airs de famille avec Pierre Trudeau. On reconnaît également le maire Drapeau, le général de Gaulle et même Robert Charlebois. Trois albums paraissent à ma connaissance, dont «Bojoual à l'Ex-Peau des 67» (1974) et «Le Zeus de la XXIe Olympiade» (1976). Les albums furent publiés chez Mondia et l'auteur est J.Guilemay. Merci à mon ami et collègue Jacques Genesse qui a eu la gentillesse de me prêter ses albums de collection et de me faire connaître Bojoual!!

BOJOUAL
Bojoual
patof
Patof #3
En 1974, les éditions Mirabel publient la première BD du clown Patof, un personnage très connu de l'époque car il animait une populaire émission de télévision pour enfants (que je regardais moi-même religieusement). Le premier album est écrit par Gilbert Chénier et dessiné par Georges Boka et Daniel Rodrigue (ce dernier n'est pas mentionné pour des raisons de droits d'auteur). Je ne possède pas le deuxième «Patof découvre un OVNI», mais le troisième album intitulé «Patof chez les dinosaures» et signé François Ladouceur m'étonne par le très haut niveau de qualité des dessins et du scénario (il faut dire que M. Boka, l'artiste principal du permier album, était soumis à de sévères restrictions qui dispararurent heureusement par la suite). M. Boka lui-même m'informe (et je l'en remercie) que le premier album fut tiré à 75,000 exemplaires comparativement à 50,000 pour le deuxième et 15,000 environ pour le troisième. La couverture à gauche provient du site «Bienvenue à Patofville» et est ultilisée avec l'aimable permission du webmestre.

En 1974, Jacques Hurubise publie les premières aventures de son Sombre Vilain dans les pages du journal Le Jour (organe du Parti québécois, qui était sous la direction d'Yves Michaud). Le personnage fera un retour quelques années plus tard dans les pages de CROC. Le Jour publiait également d'autres BD québécoises dont Les Terriens de Réal Godbout (un autre futur collaborateur à CROC), Célestin de Michel Demers, Jaunes d'Oeufs de Bernard Tanguay, Les Âmes Limpides de Richard Côté et Claude Croteau et Lunambules de Gilles Tibo.

Jacques Hurtubise écrit au sujet du quotidien LE JOUR: «On doit donc à Yves Michaud d'avoir cru suffisamment à la BD d'ici et de lui avoir donné sa première chance. En contrepartie, je crois que nos BD ont ajouté à la saveur toute particulière du JOUR. Vous n'en parlez que brièvement mais ces bandes qui parurent pendant toute la vie du JOUR constituent un corpus d'oeuvres presque aussi important que l'ensemble des albums que vous citez. À 5 ou 6 strips par semaine, nous avons produit plusieurs centaines de planches dont certaines demeureront inoubliables pour les lecteurs du défunt LE JOUR.» Ces sont d'ailleurs ces oeuvres qui valurent à Jacques Hurtubise d'être cité (aux côtés d'Albert Chartier) dans L'Encyclopédie mondiale de la Bande Dessinée (Albin Michel), le Dictionnaire Mondial de la Bande Dessinée (Larousse) et The World Encyclopedia of Comics (Chelsea House).

En 1975, le caricaturiste bien connu du journal La Presse, Girerd, publie une bande dessinée, la seule de sa carrière (à ma connaissance). Elle s'intitule "On a volé la Coupe Stanley" et met en vedette les joueurs de l'équipe de hockey des Canadiens de Montréal ainsi que deux personnages originaux, les policiers Berri et Demontigny. Les dessins sont de Girerd et les textes d'un certain Arsène. La BD fut publiée aux éditions Mirabel.

En 1979, Nouvel Âge (Québec) et Fayolle (France) publient en co-édition une BD intitulée «Il était une fois le Québec». Un grand nombre de recherchistes (dont Jacques Lacoursière) et d'artistes (Ruffieux, Dupuis, Garel) y mettent la main à la pâte, et le résultat est superbe. Quelques images qui illustrent la section historique de ce site sont tirées de cette BD.

L'Ère CROC: 1979 à 1995

Mais c'est réellement en 1979 que commence le bal. C'est en effet cette année-là que Jacques Hurtubise, Hélène Fleury et Roch Côté fondent CROC, le magazine dangereusement drôle. Croc sera fondamentalement une publication dédiée à l'humour sous toutes ses formes, mais on y retrouvera plusieurs BD.

La plus notoire est sans doute la création de Réal Godbout nommée Red Ketchup. Red est un agent secret américain à la solde du F.B.I. Il est à peu près invincible, se nourrit de pilules, a une peau blanchâtre et est une véritable machine à tuer. Sa présence est synonyme d'explosions et de catastrophes spectaculaires. Red Ketchup a deux albums à son actif: «Kamarade Ultra» (1988) et «Red Ketchup contre Red Ketchup» (1992). Notez que les éditions françaises Dargaud diffèrent des éditions québécoises. Satires de la violence gratuite, la BD de Godbout n'est pas destinée à un jeune public.

Red apparaît d'abord dans une autre série de Godbout: les aventures de Michel Risque. Trois albums pour Michel: «Le Savon maléfique» (1981), «Michel Risque en vacances» (1982) et «Cap sur Poupoune» (1984). Pour lecteurs matures.

RED KETCHUP
Un des collaborateurs les plus fidèles de Croc, c'est l'inimitable Gaboury. Ce bédéiste à l'humour cynique est sans aucun doute l'un des bédéistes les plus connus au Québec. Sans héros ou personnage principal, les BD de Gaboury sont faciles à reconnaître. Mira Falardeau écrit au sujet de ses personnages: «Ses créatures élastiques, grimaçantes, aux yeux exorbités, aux sourires fendus jusqu'aux oreilles, deviennent sa marque de commerce.» Lors de la publication du magazine MAD Québec de 1990 à 1992, Gaboury sera le seul bédéiste québécois à participer, aux côtés des traductions américaines.

Croc publiera également les planches d'une de nos rares bédéistes féminines, Caroline Merola, une artiste très talentueuse qui charme par ses dessins raffinés et son style unique. J'ai eu le plaisir de faire sa connaissance alors qu'elle animait un atelier de BD auquel je m'étais inscrit, au cégep du Vieux-Montréal. Elle publiera trois albums, «Ma meteor bleue» (qui lui méritera le prix Onézime 1990), «La Maison truquée» et «Frissons d'Humour» chez Kami-Case. Mira Falardeau écrit à son sujet: «Merola incarne une nouvelle tendance de la BD réaliste, légèrement romantique, axée vers l'analyse psychologique des protagonistes.» L'atmosphère et la qualité de ces albums sont inimitables. À lire absolument. Caroline Merola
Extrait de «Frissons d'humour»
Sombre
Le Sombre Vilain
C'est également dans les pages de Croc qu'évoluera le Sombre Vilain, ce parfait anti-héros perfide et avide de fric. En compagnie de son serpent à sonnettes, Sombre multiplie les tentatives d'augmenter ses gains, tant que cela se fait aux détriments d'autrui. L'humour du petit bonhomme vert est à la fois mordant et savoureux. Les aventures du Sombre Vilain sont signées ZYX (Jacques Hurtubise, directeur-général de Croc). Le personnage (qui fut d'abord publié dans les pages du quotidien Le Jour) obtient son propre album en 1981. Cliquez ici pour lire une page de cette BD à l'humour mordant.

À mon humble avis, la BD la plus hilarante que nous offrit Croc est sans aucun doute La Légende des Jean-Guy de Claude Cloutier. Cliquez ici pour en savoir plus sur cette désopilante BD.

Jean-Guy
Jean-Guy
En 1981, les éditions du Phylactère lancent un nouveau mensuel entièrement dédié à la BD: Cocktail. On y marie BD d'avant-garde québécoise et BD américaine classique. Malheureusement, le succès n'est pas au rendez-vous et le numéro 6 sera le dernier. En 1983, Croc fonde à son tour un mensuel de BD: Titanic, qui réunit l'équipe de bédéistes de CROC aux meilleurs de Cocktail. Titanic ne rejoint toutefois que les Québécois fanatiques de BD, dont le nombre semble insuffisant pour faire survivre la revue qui sombre à son tour en 1984.

On a marché sur mon gazon!
Jérôme Bigras
Avant de mourir, Croc nous offre un dernier grand, ce Québécois banlieusard et bedonnant nommé Jérôme Bigras. Mais sous ses apparences anodines, Bigras est en fait le justicier Flamant-Man, qui combat le crime à Bungalopolis aux côtés de sa fidèle tondeuse à gazon, Rex. Il devra affronter des ennemis tous plus ridicules les uns que les autres, tels que Moufette-Man, le Grand Ouaouaron et les Hommes de M.a.t.a.n.t.e.. Dans un épisode hilarant de septembre 90, Bigras tient un référendum, grâce auquel il désire séparer sa BD du reste du magazine CROC. Bigras est le héros de deux albums aux éditions Logiques;
«Bungalopolis» et «On a marché sur mon gazon!» L'homme derrière Bigras, c'est l'excellent Jean-Paul Eid. Cliquez ici pour lire une page des aventures de Jérôme Bigras.

Au sujet de la mort de CROC, Jacques Hurtubise écrit: «Les périodes POST-TPS/TVQ ont été très difficiles pour les magazines d'humour et de BD, causant l'effondrement du marché. De décembre 90 à janvier 91, suite à la mise en force de la TPS, nous avons perdu 20 000 ventes en kiosque. Puis ça n'a été qu'une longue descente jusqu'en 95. Safarir a connu un sort similaire au nôtre mais a réussi à surnager alors que nous sombrions corps et biens. Les tirages de ce type de périodiques (humour ou BD) sont marginaux de nos jours et ne dépassent plus guère les 18 000 copies, alors que Croc avait dépassé le cap des 110 000 à son apogée.»

D'autres BD verront le jour au Québec dans les années 80. Notons entre autres une BD dont le personnage principal est nul autre que le découvreur du Québec lui-même, Jacques Cartier. «Jacques Cartier et l'or du Canada» est l'œuvre de Gilles Simard. Bien qu'il soit mentionné que l'historien Jacques Lacoursière a collaboré aux textes, M. Simard m'affirme qu'il n'en est rien. Le nom aurait été simplement ajouté pour augmenter les ventes. Merci à M. Simard de m'avoir contacté à sujet.

Cette BD est publiée chez Charles-Huot en 1984, à l'occasion du 450e anniversaire de la venue de Cartier au Nouveau-Monde. L'histoire est amusante en plus d'être instructive car on y retrouve tous les principaux personnages historiques importants (et d'autres purement imaginaires, comme le chien Bijou qui aime l'or encore plus que le roi de France). Les dessins sont superbes.
Jacques Cartier
Jacques Cartier
Nostrabek
Nostrabek
En 1983, Jean Daumas nous offre les aventures de Nostrabek (P.A.V. Éditeurs). Nostrabek est un scientifique qui habite le «Québek» de l'an 2184. Dans un monde ravagé par la guerre et les cataclysmes naturels, le Québek et la C.A.E. (Confédération Afro-Européenne, dont l'un des représentants n'est pas sans rappeler le général De Gaulle) mettent sur pied une grande expédition spatiale qui les mènera en fait au cœur du Québec médiéval. L'histoire est intéressante et les dessins sont beaux quoiqu'un tantinet répétitifs. L'utilisation du français québécois y est hilarante.

SAFARIR: 1987 à aujourd'hui

extrait de la BD «Pyroman #2»
Pyroman
Peut-être une des causes de la mort de Croc, c'est la naissance de Safarir, le magazine de l'humour illustré, fondé en 1987 par l'éditeur Sylvain Bolduc et l'humoriste Michel Morin. Contrairement à Croc qui contient surtout des textes humoristiques, Safarir est principalement constitué de BD mais s'adresse à un public plus jeune d'adolescents. C'est une nouvelle ère qui débute. Cliquez ici pour lire une parodie de Safarir.

Dans les premiers numéros du nouveau magazine, nous ferons connaissance avec Pyroman, un anti-héros complètement loufoque qui est l'œuvre de Michel «Love» D'amours aidé de Goulet. Les jeux de mots hilarants se succèdent dans cette BD, sans laisser au lecteur le temps de reprendre son souffle. Je me souviens avoir ri aux larmes au secondaire avec mes amis alors que nous dévorions cette désopilante BD. Love est aussi derrière Beeshop, cet étrange petit animal sphérique qui souffre beaucoup de n'avoir pour membres que deux énormes pieds. Cliquez ici pour en savoir plus sur Pyroman et son créateur.

C'est dans les pages de Safarir que Jean Morin nous offrira ses versions des Fables, les aventures forestières du sympathique Monsieur Sentier et le petit monde de Cornio le Clown. Il y aura aussi «Les P'tits Monstres» et «Guerre... Épais!» de Mario Malouin, des BD caractérisées par un humour noir et cinglant. Jean-Nicolas Vallée nous prouvera qu'une image vaut mille mots avec sa brillante BD «À Double Sens Unique». Serge Boisvert De Nevers donnera vie à son Docteur Grognon, un médecin blasé et très peu professionnel, sauf quand il s'agit de nous faire rire. Il y aura aussi Baptiste le Clochard d'André Ph.Côté, SCHIZO de Jean-Paul Eid (Jérôme Bigras) et j'en passe.

Albums québécois récents

1991: Cette année marque la parution du premier mini-comic de l'héroïne Veena, une création du bédéiste Éric Thériault. En 1999, Thériault débute la publication d'une anthologie intitulée Veena qui met en vedette sa délicieuse héroïne, bien sûr, mais également d'autres de ses créations, comme John Star et Major Valor. L'auteur décrit Veena et l'anthologie en ces mots: "C'est à la fois le nom de mon anthologie ou je peux mettre tout ce qui me tente et qui fait partie de mon univers à moi, fait de vieilleries, de réflections sur le temps, la nostalgie et d'un peu de politique. C'est aussi le nom du personnage sexy qui enrobe tout ca et qui vit toute sorte d'aventures à base de voyage dans le temps, de conspiration secretes et de fantomes ou de genie. Le tout fait d'ironie kitch." Thériault collabore également à la revue Safarir. Cliquez ici pour lire un extrait de la BD Veena. Veena
Veena

1992: Alain Gosselin (AL+Flag) publie son premier album, Le Cas Euréka, mettant en vedette les Jumeaux Gémeaux qui apparaissaient régulièrement dans les pages du magasine de vulgarisation scientifique Les Débrouillards. Les Jumeaux auront par la suite deux autres albums, L'Évadé de la Zone d'Ombre (1997) et Le Jour H, l'Heure J (2002). Gosselin a également publié une parodie des super-héros américains intitulé Superman is dead (1993). Depuis 1997, il collabore à des projets portugais et suisse.

1992: Benoît Chaput fonde les Éditions L'Oie de Cravan, d'abord dédiées à la poésie mais qui publiera par la suite plusieurs bédéistes underground comme Geneviève Castrée (Tristounette et Tristou), Gigi Perron, Julie Doucet (L'Affaire madame Paul) et Simon Bossé (Intestine).

ANGLOMAN
Angloman
C'est en 1995 que paraît le premier livre d'Angloman, héros du bilinguisme et protecteur de la minorité anglophone du Québec. La BD se veut une parodie du genre «super-héros» américain et une caricature des événements politiques québécois. Plusieurs des personnages de la BD sont d'ailleurs des politiciens déguisés en héros ou en rivaux (on reconnaît Jean Chrétien (Canada!man), Jacques Parizeau (Capitaine Souche), Lucien Bouchard (Blocman), Mario Dumont (Super Mario Boy) et plusieurs autres). Le héros du livre est bien sûr Angloman (Eaton M. McGill de son vrai nom), un brave gaillard rempli de bonnes intentions mais pas très intelligent. Il combat les méchants ennemis du bilinguisme aux côtés de ses partenaires «West Island Lad» (jeune ado blasé) et Poutinette (ennemie jurée du tofu et de la bouffe santé). C'est une BD très drôle si on connaît bien la politique québécoise et si on comprend bien l'anglais. Les textes sont de Mark Shainblum et les dessins sont signés Gabriel Morrissette.

Le bédéiste de l'heure au Québec, c'est Paul Roux qui nous offre les aventures de ses deux enfants-héros, Nicolas et Ariane. Les deux premiers albums, «Le miroir magique» et «Le rêve du capitaine» ont connu un succès fou auprès de mes élèves. M. Roux a eu l'amabilité de m'écrire lui-même pour m'informer de la parution de deux nouveaux titres dans cette série: «Le Phylactère Fou» (1998) et «Le Passé Dépassé» (2001). Il est impératif que je mette la main là-dessus.

ARIANE
Ariane
couverture du premier album
Rupert K.
En 1997, aux Éditions Mille-Îles, paraît le premier album de RUPERT K. du bédéiste Laporte. Le personnage principal de la série est un petit garçon de 8 ans dont les seuls amis sont un Gameboy et la télévision. L'humour parfois sombre et mordant de Laporte nous fait découvrir la vie bien contemporaine de ce petit névrosé à l'école, chez son psy ou à travers le divorce de ses parents. J'ai adoré ma lecture et j'ai bien ri. Deux autres albums voient le petit bonhomme vieillir et atteindre l'âge de l'adolescence. Les albums de Rupert K. furent au centre d'une controverse lorsque la bibliothèque municipale de Hull, suite aux plaintes d'une citoyenne scandalisée, retirèrent plusieurs BD des rayons, dont celles de Rupert K., sous prétexte qu'elles étaient «dégradantes envers les femmes». Pourtant, ces BD étaient situées dans la section adultes et portaient déjà la notice «pour lecteurs avertis». L'affaire engendre un long débat dans les journaux entre les partisans de la censure et ceux de la liberté d'expression et du libre accès aux ouvrages culturels.


Pierre-Yves Clerson a récemment publié le premier album de son Tonton Robert, intitulé "Saleté de pauvres". L'outrecuidant chanoine Tonton Robert traverse la vie en ne manquant jamais une occasion de faire profiter les autres de ses sévices, de ses châtiments et… de copieuses rasades de son Saint-Crème bienfaisant! Nostalgique de la belle époque des Croisades, Tonton Robert lutte sans relâche contre ces plaies que sont les pauvres et la pauvreté envahissante. Vous pouvez visiter le site officiel de Tonton Robert et lire des extraits de l'album en cliquant ici. (Destiné à des lecteurs matures).

2001: Une récente BD qui a causé beaucoup de controverse est intitulée Où est passé Ben Laden? Publiée chez Les Intouchables, les créateurs de cette BD ne se sont pas identifier et demeurent anonymes. Certains propos jugés racistes (mais qui, à mon avis, visent plutôt à dénoncer le racisme de certains politiciens américains) et les scènes de sexe très explicite sont à l'origine de la controverse. La BD met en vedette les Bush, Powell, Clinton et Ben Laden qui étaient omniprésents dans l'actualité au moment de la publication. Michel Brulé explique sa décision de publier cette BD: «D'abord, le discours qu'on entendait depuis le 11 septembre était totalement hallucinant, surtout au Québec. Bon, je conçois que le discours américain soit propagandiste (...) Mais que les médias québécois emboîtent le pas, ça m'a complètement dégoûté. Il y a une différence entre parler des victimes du World Trade Center et de faire des Américains des victimes et ça m'a fait halluciner que l'on véhicule ce discours au Québec. C'est pour ça que j'ai embarqué dans le projet Où est passé Ben Laden qui est une bande dessinée très subversive.» (Propos extraits du premier numéro, volume 4, de la publication Au Pays des Bulles).

2001: Le premier album de VoRo, intitulé La Mare au Diable est publiée chez Mille Îles. Inspiré du roman du même nom de George Sand, il raconte l'histoire d'un paysan veuf qui doit se rendre dans un village voisin pour rencontrer la femme que son beau-père désire qu'il épouse. Mais il devra d'abord passer la nuit à la Mare au Diable où l'attend son destin.

SAGAH-NAH
2003: Voici vraiment un album qui m'a totalement emballé! Je n'avais pas lu une BD québécoise d'une telle qualité depuis plusieurs lunes! L'album raconte l'aventure de Zakarie de Watopeka, un jeune Français qui vit parmi les Abénakis. À l'été de 1680, le gouverneur de Québec fait appel à ses services comme traducteur. Il part donc en direction de la capitale de la Nouvelle-France, sans se douter des aventures rocambolesques qui l'attendent dans la forêt. Le scénario est formidable et les dessins sont vraiment exceptionnels. Lorsque j'ai ouvert la BD pour la première fois, je me suis immédiatement exclamé: "Wow!" Dès le premier regard, les couleurs et les textures sont saisissantes. Si vous n'avez pas encore mis la main sur cette oeuvre, hâtez-vous de le faire, vous ne le regretterez pas!

Le Montréalais François Lapierre est l'auteur de Sagah-Nah, publié chez Soleil en France. Il explique le titre en ces mots: "Sagah-Nah est une expression utilisée par les Algonquins et les Iroquois pour parler d'une randonnée dans le monde des esprits, une promenade qui se déroule comme un rêve." Au sujet de son premier album, il ajoute encore: "J'ai essayé de créer un melting pot des croyances occidentales et amérindiennes, c'est pourquoi le Wendigo et le Sasquatch côtoient quelques créatures infernales directement empruntés à notre patrimoine occidental." J'ai hâte au prochain tome! (Propos extraits d'une entrevue donnée au journal La Presse).


Zakarie de Watopeka


J'espère que cette page aura su vous donner le goût de découvrir et de dévorer la BD du Québec et je vous souhaite une très bonne lecture!



Sources spécifiques à cette page:

CARPENTIER, André et al., LA BANDE DESSINÉE KÉBÉCOISE, Montréal. La Barre du Jour, 1975.

FALARDEAU, Mira, LA BANDE DESSINÉE AU QUÉBEC, Boréal Express, Québec, 1994.

ROBIDOUX, Léon-A., ALBÉRIC BOURGEOIS, CARICATURISTE, vlb éditeur & médiabec, Montréal, 1978.

Divers numéros de la publication québécoise AU PAYS DES BULLES, publié par Roussan Éditeur Inc., pour obtenir des exemplaires, communiquez avec Marc de Roussan.

Merci également aux pros qui ont pris le temps de communiquer avec moi et qui ont ainsi grandement contribué à la qualité de cette page: Jacques Hurtubise, Michel D'amours, Georges Boka, Pierre-Yves Clerson, Éric Thériault et Michel Viau.




Onézime (extrait)

Les aventures du Capitaine Bonhomme (extrait)

Brisebois et compagnie...! (couvertures)

Capitaine Kébec (extrait)

Le Sombre Vilain (extrait)

La légende des Jean-Guy

Jérôme Bigras (extrait)

Si Tintin avait été québécois (extrait de Safarir)

Pyroman

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