L'étincelle qui met le feu aux poudres survient le 22 juin 1807, lorsque le vaisseau anglais Leopard, en quête de déserteurs britanniques, attaque le navire américain USS Chesapeake pour l'arraisonner. Trois marins américains sont tués lors du combat. Les Américains disposent cependant d'une marine trop peu importante pour affronter directement la marine anglaise. Ils décident alors de cibler le Canada, colonie britannique, que plusieurs rêvent depuis longtemps d'annexer à l'Union américaine. Le président américain James Madison fait entériner par le Congrès une déclaration de guerre contre l'Angleterre, le 18 juin 1812. | James Madison |
Charles-Michel de Salaberry |
Entre alors en scène un personnage désormais légendaire: Charles-Michel de Salaberry. Né à Beauport le 19 novembre 1778 et issu de la noblesse canadienne-française, il est le fils aîné du seigneur de Beauport. Son grand-père, Michel de Salaberry (1704-1768) s'est illustré dans la guerre contre l'Angleterre et la tradition militaire est bien ancrée dans cette famille d'aristocrates.
Engagé comme volontaire dans l'infanterie britannique dès l'âge de 14 ans, de Salaberry est d'abord en garnison à Québec, puis transféré aux Antilles en 1794. Après avoir combattu aux Antilles, en Sicile et en Irlande, il rentre à Québec en août 1810, après une absence de 16 ans. Plus habitué à l'anglais qu'à sa langue maternelle, il communique par écrit en anglais avec son propre père. Il obtient le grade de major en 1811. Devant la menace éminente d'un conflit au Canada, le gouverneur général George Prevost reconnaît les talents et l'influence de Charles-Michel de Salaberry. Il lui demande de lever, parmi ses compatriotes, un corps d'infanterie légère composé principalement de Canadiens français: les Voltigeurs canadiens. |
LES VOLTIGEURS
Si les Britanniques n'avaient aucune difficulté à organiser des corps de volontaires anglophones, les habitants francophones du Bas-Canada se montraient beaucoup plus réticents à s'engager. Le lieutenant-colonel Jean-Baptiste Hertel de Rouville remarqua que l'uniforme rouge des militaires britanniques était très mal vu par les Canadiens français. Il suggéra que de nouvelles couleurs soient acceptées afin d'améliorer les résultats des campagnes de recrutement. C'est le 15 avril 1812 que fut mis sur pied le corps de volontaires provincial d'infanterie légère connu sous le nom de Voltigeurs canadiens. Le document qui autorise la mise sur pied de ce nouveau régiment francophone affirme que "les armes devront être des carabines d'infanterie légère avec des buffleries noires; l'uniforme sera gris avec collet, parements et boutons noirs, et de courtes bottes canadiennes. Des bonnets légers en peau d'ours." |
L'uniforme du Voltigeur |
Le site historique de la bataille en septembre 2003 |
Fin septembre 1813, de Salaberry (maintenant lieutenant-colonel à l'âge de 35 ans), est responsable de la défense de la rivière Châteauguay. Il reçoit l'ordre non pas de mettre en déroute, mais bien de ralentir les Américains afin que la défense de Montréal soit adéquatement organisée. Il installe ses retranchements près de Allan's Corner. Pour Salaberry, il s'agit d'un terrain idéal. La forêt dense rendra inutile l'artillerie lourde des Américains (ils possèdent effectivement 10 canons). Elle donnera également l'avantage à son infanterie légère. Les arbres et les nombreux ravins étaient idéaux pour ralentir l'avance de l'ennemi. Finalement, il s'installe tout près de la rivière qui lui constitue une protection parfaite sur le flanc gauche. |
À 11 heures, sur la rive sud, l'avant-garde de Purdy attaque la compagnie de Brugière. Cette dernière reçoit en renfort deux compagnies de miliciens d'élite sous les ordres des capitaines Daly et de Tonnancour. Ces soldats repoussent les Américains et les poursuivent.
À midi, à l'abattis de la rive nord, les Américains poursuivent leur marche vers les Canadiens retranchés derrière l'abattis. Le combat s'engage. Les balles fusent et sifflent de toute part et l'épaisse fumée des détonations recouvre tout le champ de bataille. La fusillade devient si intense que des Fencibles, placés au-devant de l'abattis, reculent derrière celui-ci. Les Américains croient à un début de débandade canadienne et crient victoire. De Salaberry réagit vite. Il ordonne à ses troupes de crier et fait donner le signal d'avance par tous ses clairons, dans toutes les directions, faisant ainsi croire aux attaquants à un plus grand nombre de défenseurs. La stratégie réussit et les Américains, aveuglés par la fumée, réduisent le tir, s'attendant à être attaqués. |
Costume du milicien |
Affiche de recrutement pour la guerre de 14-18 |
Néanmoins, le lieutenant-colonel Charles-Michel de Salaberry entre dans la légende. La victoire de la bataille de la Châteauguay lui vaut une renommée sans précédent. On lui consacre des poèmes et des chansons, on lui élève des statues, on nomme une ville en son honneur et ses contemporains le comparent même à Léonidas, roi de Sparte, qui, avec 300 hoplites, a héroïquement tenu tête à l'armée de Xerxès, au défilé de Thermopyles (vers 480 avant J.-C.). Salaberry, Voltigeurs et Châteauguay deviennent peu à peu des nomes de rues, d'avenues, de parcs et de lacs. En 1994, au Québec, on a recensé 14 rues Salaberry. La moitié d'entre elles ont été nommées à la mémoire du commandant des Voltigeurs.
Le héros ne connaîtra qu'une courte gloire. Il tomba malade et mourut à l'âge de 51 ans. Le gouvernement colonial l'utilisera dans ses campagnes de propagande qui visent l'obéissance des habitants francophones à la couronne britannique. Cent ans plus tard, on se servira encore de son image pour promouvoir l'enrôlement de jeunes francophones pour les champs de bataille de la Première Guerre Mondiale. |
Références spécifiques: LAMARCHE, Jacques, SALABERRY, LE HÉROS DE CHÂTEAUGUAY, Lidec Inc., Montréal, 1999. Lieu historique national du Canada de la Bataille-de-la-Châteauguay, 2371 Ch.de la Riv. Châteauguay, Howick, Québec. SMITH, P.G., BIRTH OF THE CANADIAN ARMY, article publié dans les pages du magazine Military History, Leesburg, Virginie, États-Unis, Octobre 2003. SUMMERS, Kack L., CHARTRAND, René, L'UNIFORME MILITAIRE AU CANADA 1665-1970, Musée nationaux du Canada, 1981. SUTHREN, Victor J.H., LA BATAILLE DE CHÂTEAUGUAY, cahiers d'archéologie et d'histoire no 11, Parcs Canada, 1980. |