L'AFFAIRE LEVINE |
C'est donc dans ce contexte qu'éclate l'affaire Levine en pleine capitale canadienne. C'est le journal The Ottawa Citizen qui démarre le bal dans son édition du premier mai 1998. Dans un article intitulé «PQ'S ENVOY TO HEAD HOSPITAL», on peut lire que le conseil d'administration du nouvel hôpital fusionné d'Ottawa envisage d'embaucher David Levine, un Québécois séparatiste, comme nouveau directeur. L'article révèle que Levine a été membre du parti québécois de 1975 à 1981 et qu'il s'est même présenté pour ce parti aux élections de 1979 dans une élection partielle. Bien que les compétences professionnelles de Levine soient indéniables (il a dirigé l'hôpital Notre-Dame de Montréal pendant 5 ans), c'est le passé politique du candidat à la présidence qui intéresse la journaliste. Interrogé à ce sujet, Levine répond tout simplement: «Ni mes affiliations politiques, ni mes opinions politiques n'ont de rôle à jouer ici.» | David Levine |
NON À LEVINE! | |
Jim Watson |
L'affaire aurait été suffisamment disgracieuse si au moins les élus ontariens ne s'y étaient pas mêlés. Pourtant, c'est exactement ce qui se passe. Le 15 mai, la ministre de la santé de l'Ontario, Elizabeth Witmer, suggère à l'hôpital «d'étudier sérieusement les implications de sa décision.» Le député d'Ottawa-Rideau à l'assemblée législative de Toronto, Gary Guzzo, déclare qu'il a l'intention de protester contre la nomination de Levine. Il va même jusqu'à dire: «J'aimerais m'assurer que le conseil est convaincu que sa loyauté est acquise au Canada et au gouvernement qui lui paie son salaire, non pas au gouvernement dont le but est de briser le pays.» Le député paranoïaque s'inquiète également que Levine pourrait «placer des séparatistes partout dans l'administration». Betty Hill, la conseillère régionale, en rajoute: «Surely to God, ils auraient pu trouver quelqu'un qui n'était pas associer à ce groupe.» Le maire d'Ottawa, Jim Watson, déclare que Levine devrait «se comporter de façon honorable et démissionner.» |
Lise Bissonnette, l'éditorialiste du journal québécois Le Devoir, réplique à Dion dans son éditorial du lendemain: «La crise d'hystérie qui s'accentue dans la région d'Ottawa à l'idée que David Levine, qui a le double tort d'être Québécois et «présumé séparatiste», ait été nommé directeur du grand hôpital de la capitale canadienne, était qualifiée jeudi de «déplorable mais explicable» par nul autre que le ministre canadien des Affaires intergouvernementales, Stéphane Dion. Il «explique» la dérive de ses concitoyens par leur angoisse à la perspective de la sécession du Québec.» | Lise Bissonnette |
Mike Harris |
Le lendemain de cette honteuse manifestation, le premier ministre ontarien Mike Harris fait l'inconcevable. Sur les ondes d'une émission de radio totontoise, il se dit «du côté des gens» qui croient que l'argent des contribuables ne devrait pas servir à l'embauche d'un «separatist». Il dit même qu'il préférerait qu'on embauche un étranger qu'un Québécois séparatiste. La déclaration laisse les commentateurs québécois bouche bée. Au diable les libertés d'expression et d'association, le premier ministre de l'Ontario vient de déclarer qu'une personne n'a pas sa place dans la fonction publique ontarienne si elle est souverainiste. Incroyable, mais pourtant vrai. |
C'est après que la situation soit dénoncée par le premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, ainsi que son ministre des finances, Bernard Landry, que Jean Chrétien se décide finalement à réagir. Plutôt que d'être la voix de la raison, le premier ministre du Canada s'en prend au gouvernement du Québec. Il déclare que le gouvernement péquiste n'a de leçons à donner à personne en matière de respect des opinions politiques d'autrui. Pour appuyer son propos, il évoque la démission Jean-Louis Roux comme lieutenant-gouverneur du Québec. Rappelons-nous que Roux avait dû démissionner de son poste quelques années auparavant lorsqu'une photo sur laquelle il portait une croix gammée avait été rendue publique. Pour Chrétien, souverainiste serait donc synonyme de nazi? Loin de calmer la controverse, il choisit d'apporter de l'eau au moulin de la calomnie et des mensonges. C'est une déclaration ahurissante, surtout lorsqu'elle provient du premier ministre du Canada, mais elle n'a rien de surprenant lorsqu'on sait que Chrétien a dédié toute sa carrière à dépeindre les souverainistes et les nationalistes québécois comme des abominations qu'il fallait craindre. L'intolérance est politiquement acceptable au Canada anglais, tant qu'elle est dirigée contre les «separatists». | Jean Chrétien |